Cher L.,
Voilà que j’entreprends, je vous l’avais promis, de vous expliquer, tant que faire se peut, ma démarche concernant l’écriture. Pour cela, il me faudra être rigoureuse et détaillée, et je n’en ai aucune habitude. Pardonnez moi donc si je suis parfois maldroite.
Tout d’abord, sachez que j’écris de façon absolument spontanée. Les lignes que vous lisez n’ont subi qu’une seule relecture, pour corriger les fautes d’orthographe (et encore, j’en oubli tellement). Je remanie très rarement mes phrases, je ne change presque jamais mes mots. En cela, j’ai tort, je le sais, car un peu de ce travail pourrait sans doute améliorer mes écrits. Mais je ne sais procéder autrement, les retouches me semblent dénaturer mes lignes, altérer leur substance même. Parce que, à mon sens, le seul intérêt de ce que j’écris est justement la spontanéité, qui donne, toujours à mon sens, une sorte de vérité totalement subjective, certes, mais profonde. Et les imperfections, les mal dits et les améliorations jamais apportées font partie de la chose à laquelle je m’essaye : toucher à la nature même, brute et imparfaite, de l’Homme.
Ainsi, vous l’aurez remarqué, mes textes ne traitent que des émotions. Les faits y sont complètement secondaires, présents parce que nécessaires mais définitivement placés au second plan. Ce qui m’intéresse n’est pas vraiment ce que vivent les personnages mais la façon dont ils le vivent. L’éventail des émotions humaines me fascine, et j’aime à me balader tout au long de cette palette que je considère infinie. Oui, à mes yeux, le seul infini qui soit est dans le cœur des hommes. Et le monde entier s’y trouve : son histoire, ses raisons et déraisons, ses pourquoi et ses comment.
Au delà de cet intérêt immodéré pour les émotions humaines, si j’ai choisi de les écrire c’est parce que je ne connais qu’elles. Je vous l’ai avoué récemment : je ne sais rien faire d’autre qu’aimer. L’amour est mon seul moteur, ma seule envie, mon unique ambition. Ma raison d’agir, et de vivre, en toutes circonstances. Et mon cœur est bien plus fort que ma raison. Quand je parle d’amour, vous l’aurez compris, je ne signifie pas seulement celui qui peut exister entre un homme et une femme, ou deux hommes, ou deux femmes, mais celui qui se place dans un regard, dans un geste, dans une considération. L’amour d’une personne, d’un endroit, d’un moment, de toutes les petites choses du monde et de la vie.
J’aime la ville que j’habite, j’aime ses rues pavées et ses places, j’aime la lumière qui l’habille, le soleil qui y brille, le vent qui souffle si souvent, les nuages qui savent lui donner du cachet à la demie saison, j’aime le sourire de ma boulangère, l’humour du gars du tabac, les yeux verts du vendeur de disques, la nonchalance du gérant du spa pas très loin de chez moi, j’aime sentir la fraicheur du carrelage sous mes pieds nus, le glacé de l’eau dans le fond de ma gorge, le parfum du café envahir l’appartement le matin, la pénombre gagner du terrain puis gagner tout court à la fin de la journée, et je pourrais continuer ainsi pendant des heures mais ça n’aurait aucun intérêt, n’est ce pas ? J’aime. Je ne sais fonctionner que comme ça.
Vous me répondrez que nous aimons tous, j’ajouterai que je l’espère.
Quelques détails pas vraiment croustillants mais peut-être importants : j’écris à toute heure du jour ou de la nuit. Spontanéité oblige, lorsque les mots me viennent je dois les écrire.
Ils me viennent le plus souvent par phrases. D’abord, une émotion qui m’envahit, je ressens le besoin de l’exprimer sans trop savoir comment, alors j’attends. Et quelques temps, minutes, heures ou jours, plus tard, une phrase. Entière, construite, sans queue ni tête, certes, mais je sais qu’elle sera la première. Il me suffit alors d’en taper les lettres sur mon clavier et de laisser les choses se faire : c’est comme une bobine que je déroulerais sans trop m’en apercevoir, des mètres ou des kilomètres de fils dont je ne soupçonnais pas l’existence et qui s’étendent sous mes yeux et mes mains. Mes textes sont toujours écrits d’un coup d’un seul. Ainsi, une des premières histoires que j’ai écrites m’est venue par j’ai senti le goût de la peur sur ses lèvres. Et le premier, c’était mon père m’a donné non seulement les premiers mots, mais aussi la structure et la substance même des Douze apôtres… Bref.
Je vous ai dit que j’écrivais à toute heure, c’est vrai, selon “l’inspiration”, mais c’est la nuit que je préfère, elle est propice à l’introspection que je pratique, elle forme autour de moi une bulle d’air et d’ombre dans laquelle je me plonge pour mieux ressentir. Et, indispensable amie sans laquelle je ne ferais ni ne serais rien : la musique. Je ne sais écrire sans elle. Elle me guide, m’aide, me réconforte, me porte, c’est simple elle fait la moitié du travail, moi, je ne suis que son nègre, en quelques sortes. En ce moment, c’est le piano d’Erik Watson ou de Bugge Wesseltoft, le saxo de Coltrane et quelques sons absolument superbes et planants tout droit venus d’Arménie qui rythment mes phrases et mes histoires.
Dernier point, pour vous rassurer : si les émotions que j’aborde sont les miennes (bien sûr, comment les inventer ?), tous mes mots ne me collent pas à la peau. Ces histoires ne me racontent pas, et, par exemple, la vision négative des hommes dans l’une d’elle ne reflète absolument pas mon ressenti, elle est l’expression d’une violence et d’une désillusion qui font certes partie de moi, mais que je ne m’autorise pas. Ainsi, elles n’apparaissent que dans quelques de mes écrits, jamais dans ma vie. Parce que je suis fondamentalement quelqu’un de positif, et bien sûr non violent. Alors non, je ne déteste ni ne méprise le masculin, bien au contraire, si vous saviez combien je l’aime… Je ne pense pas non plus que l’amour soit forcément malheureux, ni que les histoires d’A. finissent mal en général (même si la chanson n’a pas complètement tort).
Je suis, dans la vie, beaucoup moins mélancolique que ne le sont mes écrits, croyez le.
Voilà (le mot fatal).
Il me semble avoir fait le tour, ou du moins un tour de la chose.
J’espère pouvoir ainsi éclairer votre lecture et non l’embrûmer. Si ces quelques lignes vous influencent trop oubliez les, l’oubli est souvent un excellent remède.
Avant de vous saluer je tiens à vous remercier de l’intérêt que vous me portez. Vous savez combien vos mots me touchent, combien votre regard m’émeut, je ne saisis pas bien pourquoi vous me portez autant d’attention et de tendresse, parce que c’en est, mais je vous en remercie aussi vivement que sincèrement.
J’ai moi aussi grand plaisir à vous lire, et nos échanges sont une glaise dont je sais que nous ferons de jolies choses.
Merci encore, chez L., et au plaisir de vous lire,
Je vous embrasse (si vous le permettez)
M.