Depuis quelques mois, mars 2021 plus précisément, Jeremy Gobé mène une extraordinaire expérience, à la croisée de l’art et de la science, à quelques miles marins des côtes martiniquaises.
Jérémy Gobé, artiste pluridisciplinaire, créateur de Corail Artefact, y développe un projet expérimental sur la préservation et la régénération des récifs coralliens. Il a installé des échantillons d’une dentelle très spéciale dans l’aquarium extérieur de Coraïbes au Gosier, au plus proche des conditions marines réelles. Coraïbes est la première société de Guadeloupe dédiée à la restauration écologique marine, adossée à la structure de l’Aquarium. Avec un accès direct à la mer, et grâce à son équipe de plongeurs professionnels et de biologistes marins, elle est en mesure de procéder à de nombreuses études et travaux de restauration écologique
Nous savons tous que les récifs coralliens sont en grand danger. Les récifs et barrières de coraux longent plus de cent cinquante mille kilomètres de côtes dans plus de cent pays et réduisent considérablement les dommages dus aux tempêtes et ouragans, de même qu’ils absorbent l’énergie dévastatrice des tsunamis. Sans cela, certains pays situés dans des atolls, comme les Maldives, Kiribati, Tuvalu et les Îles Marshall n’existeraient plus. Comme les forêts, les récifs de coraux sont de formidables capteurs de CO2. Ils abritent vingt – cinq pour cent de la biodiversité marine. C’est une richesse à sauvegarder. Et l’œuvre de Jeremy Gobé y contribue. La démarche artistique de Jeremy Gobé reste centrée, quelque soit le projet, sur ce principe de restauration de la nature : Corail artefact-Coalition, Corail artefact-régénération, Corail artefact Maille cerveau de Neptune, Saving corals.
Corail et dentelle , point d’espritAffecté par la dégradation de l’environnement, Jeremy Gobé a en effet créé en collaboration avec les dentelières du Mobilier National, dans de nouvelles fibres propices à l’intégration dans le milieu naturel, une dentelle dont le dessin reproduit un motif proche de la structure du corail afin d’accompagner le développement de boutures de coraux qui finissent par s’approprier cet élément textile et recommencent à se développer normalement, ce qui démontre bien sa non-toxicité pour le milieu marin. Cette dentelle remplit toutes les fonctions des structures sur lesquelles le corail se déploie et grandit naturellement : rugosité, souplesse et transparence. Elle est biosourçable, biodégradable et biomimétique.
Corail et dentelle, point d’espritLes premières mises en eau des nouveaux échantillons de dentelle ont débuté à la mi – mars de cette année. L’idée première de ces nouveaux essais, c’est de tester d’autres fibres que le coton. Ces derniers sont trop polluants et trop vite dégradables dans l’eau même s’ils sont certifiés biologiques. Ils sont de plus difficiles à produire dans les zones coralliennes. Certaines fibres alternatives testées correspondant à ces critères ont donné des résultats très encourageants. Ainsi il sera possible de déterminer le meilleur échantillon qui sera ensuite testé avec du corail pour observer la résistance des dentelles en eau de mer, leur colonisation par les algues et tout un ensemble d’autres données.
Test en laboratoire Corail et support dentelleDiplômé de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Nancy et de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, Jeremy Gobé positionne son travail artistique au cœur des enjeux sociaux et environnementaux de notre société contemporaine. L’œuvre de Jeremy Gobé me paraît exemplaire et émouvante, d’autant plus que son action concerne les récifs coralliens que nous savons menacés dans notre environnement immédiat de la Caraïbe.
C’est un éco- artiste qui choisit l’éthique comme moteur de sa création. Par son engagement, par son geste, il tente une riposte contre la dégradation de la nature. C’est un art responsable au service d’une cause environnementale. L’art ne se contente plus d’apporter un témoignage et de produire des formes esthétiques. Il s’allie désormais à la recherche scientifique et agit sur l’environnement. C’est que toutes les interventions artistiques au cœur de la nature n’ont ni le même degré d’engagement ni la même valeur. Tout art dans la nature n’est pas forcément un art pour la nature.
Certaines témoignent en produisant des images, reflets de la réalité. D’autres utilisent la nature comme matériaux ou support. Enfin il y en a qui dépassent la représentation et s’engagent dans le combat pour la préservation de l’environnement. Corail Artefact entre dans cette dernière catégorie, certainement la plus achevée dans les nouveaux rapports entre création plastique et questions écologiques.
Boutures de corail pocillopora mises en contact avec la dentelle en coton au point d’espritJeremy Gobé a bien voulu répondre à quelques questions :
Cette phase expérimentale est centrée sans doute sur l’aspect scientifique, or vous êtes plasticien, diplômé d’une école d’art, comment équilibrez-vous l’expérience scientifique et la création plastique ?
Déjà, je pense qu’artiste comme scientifique, nous sommes motivés par la créativité et par l’objectif de faire bouger le monde. Pour moi, réaliser un protocole de recherche est équivalent à réaliser une œuvre en terme de créativité. Mon travail artistique se compose à la fois de créations plastiques et à la fois d’œuvres au sens plus large du terme, comme Corail Artefact le montre, plutôt dans le sens d’un élan de créativité et d’innovation, une philosophie appliquée presque.
Il faut aussi savoir que dans Corail Artefact, les protocoles et les œuvres se nourrissent les uns des autres, ils sont en symbiose. Si j’ai les fonds pour réaliser une œuvre, j’en profiterai pour développer une matière qui pourra ensuite être testée dans un protocole et à l’inverse, si j’ai besoin d’une matière pour réaliser une œuvre, je la développerai d’abord via un protocole de recherche et développement pour ensuite l’utiliser dans mes créations.
Cette phase expérimentale vous apporte-t elle autant de satisfaction que la phase de création du motif par exemple ?
Oui tout à fait, ce sont bien deux phases distinctes mais qui ont les mêmes schémas d’avancée : passer de l’idée à la réalisation passe par une phase de doute, de recherche, d’essais et l’aboutissement est aussi émouvant dans les deux cas.
C’est une véritable mutation du concept de forme artistique, un renversement de la fonction de l’art. L’œuvre d’art n’est plus ni individualiste, ni formaliste, ni consumériste. Elle n’est plus un artefact futile qui décore les appartements ou s’accroche aux cimaises d’un musée. Elle induit une nouvelle relation du public avec l’art qui ne relève ni de la contemplation ni de l’admiration mais déclenche une prise de conscience et le désir d’agir. Comme le dit Paul Ardenne : La forme dégagée et allégée de son ancien statut esthétique, de son apparence et de sa vocation à susciter un spectacle diversement pensif, amusé et gratuit, voit ici sa nature fondue dans le principe du geste utile, démonstratif et compensatoire.
Jeremy Gobé est un artiste dans la lignée des Joseph Beuys et ses 7000 chênes (1982), des Patricia Johanson et son Fair Park Lagoon (1981), des Mel Chin et son Revival Field (1990) mais travailler dans le milieu marin fonde l’originalité de cette démarche, rare et précieuse .
Dominique Brebion