le bois n’était plus le même, à peine partis il fallait rentrer
alors les champignons sont apparus sous les feuilles
ils caressèrent les mains les nids de trompettes
noires et profondes dans le sous-bois
venant à tes yeux et à tes mains
(revenus au même emplacement aimantés) au pied de l’arbre
juste ce qu’il faut d’humidité et de lumière
la main nue va directement comme en pleine nuit
(seuls les champignons pouvaient te sortir du souvenir
brisé car tu tendais la main mais aussitôt la retirais)
un soupçon d’existence tout au fond, très enfoui
pour aller loin dans le souvenir
une ombre et la maison s’assombrit
*
en chemin on se retrouve animal
l’ânesse approche de la barrière sa façon d’être
de circuler fait taire les mots en creux
nous sommes dans le silence
où l’ânesse passe sa tête
glisse sa tête dans le creux du bras pour le soulever
elles sont deux à venir de côté
pour nous voir de près
leur manière de se déplacer ensemble
évitant ce qui devant soi pourrait être un obstacle
elles se rapprochent ainsi à pas lent
dans une confiance ou une retenue qui fait
que l’on ne dit plus rien on tend la main
lentement avec un peu d’herbes accrochées entre les doigts
on attend
*
j’ai attendu que tu parles ce jour-là
prête à intercepter des mots qui ne sont pas venus
pas plus n’ont surgi les sangliers
elle court d’un fourré à l’autre
haletante sans que tu la rappelles
elle revient
— car elle est la chienne
venue là en vivre —
*
c’est une chienne de marécage de boue mêlée
d’eau et de vies grouillantes c’est un marais
qu’une rame frappe et la chienne nage
la tête au ras de l’eau l’ouïe est une
ligne au-dessus de la ligne de l’eau
les narines au-dessus pour humer l’air
si l’eau tournoie l’emporte l’onde
retournera à l’immobilité
l’odeur de vase pénètre au fond du vêtement
et le tissu à la peau se soude
(qu’écrire redonne vie et ne la retire pas)
que reste-t-il
des sensations du corps
dans la course et l’eau des fleuves
la chienne —— s’en va
*
le sanglier a remonté le jardin jusque devant la porte
il voulait entrer il a suivi le chemin familier il saignait
et pourtant a dépassé la grille
nous avons vu sa blessure nous ne pouvions lui ouvrir la porte
cette vie là n’a pas été longue je me suis enfui
maintenant il faut se cacher jusqu’à la nuit
la balle n’a fait qu’effleurer j’irai loin plus loin encore
vous savez que c’est moi mais vous ne me reconnaissez pas
quand les animaux à leur tour vous rejettent
ils n’ont aucun tort ils sont cette force
qui vous repousse déploie alors en soi
une violence à renverser et à se lancer en boule sur eux
Camille Loivier, Swifts, éditions Isabelle Sauvage, 2021, p.24, 28, 29, 30, 66.
Contribution d’Ariane Dreyfus