"Juana Viale en tête à tête avec Mauricio Macri"
"Hashtag La Table avec un grand T"
Quelle bizarrerie, n’est-ce pas ? Cette animatrice-productrice, qui a hérité son plateau sur Canal 13 de sa grand-mère, Mirtha Legrand (nonagénaire et bien vivante), le tout grâce à la pandémie et aux confinements successifs, n’invite jamais aucune personnalité de gauche à venir se défendre et encore moins de cette manière : toute seule, en direct, pendant toute une soirée !
En Argentine, il n’y a pas d’autorité de l’audiovisuel qui veille aussi scrupuleusement qu’en France à l’égalité du temps de parole donné à chaque famille politique pendant les campagnes électorales. La législation sur le sujet est des plus légères et ne garantit en aucune manière l’égalité de traitement ni des candidats ni de leurs soutiens. En revanche, la loi empêche le gouvernement de prendre toute mesure, de quelque nature qu’elle soit, qui puisse paraître électoraliste.
C’est ainsi que ces dernières semaines, la droite a obtenu que la justice interdise au gouvernement de distribuer certains fonds et subventions destinés à compenser la perte d’activité ou de revenu subie par certaines catégories de la population à cause de la crise sanitaire : c’est ainsi qu’il a été impossible de subventionner les traditionnels voyages de fin d’étude des lycéens qui quittent l’école secondaire (alors que les revenus des parents ont fondu comme neige au soleil et que le secteur touristique a beaucoup souffert), interdiction même, il y a quelques jours, de payer aux artistes les aides qui leur sont régulièrement versées pour compenser leur perte d’activité (et donc de revenus)…
Comme par hasard, ces sommes d’argent dérisoires (au niveau de ce que reçoivent les bénéficiaires) représenteraient, selon l'argumentaire des plaignants, une énorme distorsion de l’équité électorale. En revanche, toute une soirée sur une chaîne privée au bénéfice exclusif de l’ancien président qui se voudrait leader de l’opposition mais peine à le devenir, le tout au surlendemain de sa première comparution devant un juge d’instruction pour des écoutes illégales ignobles contre les membres des familles des sous-mariniers du ARA San Juan, disparu en mission ; là, il n’y a aucun problème.
Hier soir, Mauricio Macri a donc pu impunément venir faire son numéro tout seul à la table de l’animatrice dans le cadre d’une émission où d’habitude plusieurs invités bavardent (chacun vendant ce qu'il a à vendre sur le moment) en dégustant en direct, dans une luxueuse vaisselle, un repas sophistiqué, servi selon les codes surannés de la haute société argentine qui s’efforce elle-même de copier l’aristocratie européenne afin d'imposer une légitimité sociale uniquement fondée sur le pouvoir de l'argent, sur son capital, ses propriétés foncières et immobilières. Ce dîner « à table avec Mirtha » donne un spectacle surréaliste, très éloigné des standards de vie du commun des mortels dans le pays : dans le studio, on ne retrouve rien de ce qui fait le charme de la convivialité argentine, ni sa chaleur humaine, cette bonne franquette si caractéristique du dîner argentin, ni la cuisine simple et savoureuse qui va avec.
Parmi les téléspectateurs, il y en a que ce spectacle frelaté impressionne, séduit ou fait rêver. D’autres sont considérablement agacés par ce snobisme et le partialité politique et idéologique qui ne laisse aucune place aux autres points de vue – alors qu’on est en campagne électorale, rappelons-le encore et toujours.
Tandis que les journaux de droite reproduisent avec complaisance les propos de Macri, ses attaques gratuites contre la majorité, ses rodomontades (« si nous avions gagné les élections [en 2019], nous aurions réglé le problème de la dette en cinq minutes »), la promotion de son prochain livre (sur son père, qu’il a traîné dans la boue quelques jours seulement après son inhumation) et les arguties de sa défense dans les affaires pour lesquelles la justice lui demande des comptes comme elle pourrait (devrait) le faire envers n’importe lequel des citoyens de ce pays démocratique et constitutionnel qu’est l’Argentine.
© Denise Anne Clavilier www.barrio-de-tango.blogspot.com
Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12 qui donne la parole à l’avocate des plaignants, les familles des disparus du San Juan (il est bien le seul à faire entendre ce son de cloche dans le paysage journalistique national)
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación
lire l’article de La Nación qui intègre l’intégralité de l’émission en vidéo à voir et à revoir pour ceux qui l’auraient ratée