Aujourd’hui j’entame mon cinquième mois à l’Université Paris Dauphine. Cette université a reçu, avec le statut de « grand établissement », un privilège considérable qu’elle partage avec la seule Université de Technologie de Compiègne : elle a le droit de choisir ses étudiants, comme les grandes écoles ou les IUT, bref comme les autres institutions d’enseignement supérieur qui fonctionnent à peu près dans ce pays. Ce qui lui donne des étudiants qui savent lire, écrire et compter et même quelques autres choses : ce n’est pas rien.
Tout n’y est pas pour autant facile et parfait : la moindre décision de quelque conséquence doit attendre (longuement) le nil obstat de la bureaucratie ministérielle, la chape de plomb des marchés publics entrave chaque projet.
Le premier problème auquel j’ai dû m’attaquer, et je crains de ne pas en être débarrassé de sitôt, était d’obtenir que le personnel de mon équipe dispose d’installations sanitaires qui ne soient pas un attentat à la dignité humaine. Ce serait bien, aussi, qu’il puisse accéder à une nourriture comestible à des prix raisonnables, mais là il ne faut pas rêver.
C’est dans le cours des réflexions inspirées par ces problématiques de haut niveau que je suis tombé sur un article de Michel Volle (je n’ai pas retrouvé son emplacement) qui racontait l’évolution du système français de télécommunications. Jusqu’à la fin des années 1960 la Direction générale des postes et télécommunications (PTT), ancêtre de France Telecom, était sous la tutelle de la direction du Budget, soumise aux Code des marchés publics et au règlement de la Comptabilité publique ; le résultat de tous ces beaux réglements était une vision purement comptable, qui voyait le fonctionnement du téléphone comme une simple charge sans en percevoir l’effet de levier, et était donc hermétique à toute idée d’investissement ; résultat, il fallait quatre ans pour avoir le téléphone en payant deux ans d’abonnement d’avance, il n’y avait que quatre millions de lignes, la France avait quarante ans de retard et était, de ce fait, menacée de devenir un pays sous-développé. Un article d’Élie Cohen retrace les grandes étapes de cette histoire. De 1969 à 1974, l’État a lancé un plan de rattrapage, qui permettra à la France de passer du sous-développement de 1969 à une position de premier plan dès 1980. Un des facteurs de la réussite fut de faire sauter le verrou de la direction du budget en autorisant l’endettement nécessaire à l’investissement.
En lisant cela j’ai eu une révélation : l’Université française est aujourd’hui dans la situation du téléphone de 1969 : sous-développement et impuissance. Il n’y a qu’à voir l’état des chiottes (excusez-moi, mais on ne peut dire autrement) pour savoir tout de suite que les discours sur le programme de Lisbonne et la société de la connaissance ne sont que bavardage pour amuser les gogos.
Comment sortir de là ? Les solutions sont connues, mais demanderaient un certain courage, donc elles ne seront pas adoptées. Faire du baccalauréat un diplôme de fin d’études secondaires. Autoriser les universités à recruter les étudiants comme elles l’entendent, c’est-à-dire à les sélectionner. Supprimer les diplômes nationaux et encourager la diversité des cursus et des diplômes, ce qui élargirait l’accès à l’enseignement supérieur sans brader les formations. Soustraire l’université et la recherche au Code des marchés publics et à la comptabilité publique, ce qui dégagerait une augmentation instantanée et gratuite de 30% de leurs ressources. Bref, favoriser une véritable autonomie des universités, ce que ne fait pas la loi récente. Il faudrait en outre réintégrer dans l’université les établissements publics de recherche (c’est peut-être en train de se faire) ainsi que, sacrilège suprême, les grandes écoles.
Un ami me confie néanmoins un commentaire optimiste : si la loi n’instaure pas vraiment l’autonomie, elle accroît les pouvoirs des présidents d’université, ce qui va attirer vers cette fonction de fortes personnalités (c’est le cas à Dauphine), par opposition aux tenants du consensus syndicalo-bureaucratique qui avaient plutôt tendance à dominer jusqu’ici.