1986, Düsseldorf, en Allemagne avant la réunification, Kenzô Tenma, un jeune médecin japonais, promis à un brillant avenir et fiancé à Eva, la fille du directeur de l'hôpital où il exerce, sauve la vie d'un jeune garçon, Johann, malgré l'injonction de prendre en charge le maire, arrivé après lui: il n'y a pas de vie plus importante qu'une autre, chaque vie mérite d'être sauvée et il ne peut y avoir de passe-droit. Le directeur et deux cadres importants sont retrouvés morts, des papiers de bonbons empoisonnés à leurs côtés. Qui a pu perpétrer de tels crimes? Qui a pu kidnapper les jeunes jumeaux, Anna et Johann? Les années passent, Tenma, devenu depuis le décès du directeur chef du service de neurochirurgie, est rattrappé par cette nuit épouvantable de 1986: les corps d'un couple d'âge moyen, sans enfant, sont découverts, assassinés.
Commence alors pour le docteur Tenma une quête hautement dangereuse: la recherche d'un tueur en série dénué de tout sentiment humain. Il parcourt l'Allemagne et découvre peu à peu que Johann pourrait être le meurtrier de plusieurs couples sans enfant retrouvés assassinés dans différentes régions du pays. Tenma suit la piste, découvre où vit la soeur jumelle de Johann et apprend que c'est elle qui avait tiré une balle dans la tête de son frère lors de la fameuse nuit de 1986...elle venait de réaliser que son frère était un vrai monstre.
Seulement, c'est sans compter avec la capacité de nuisance extraordinaire de Johann et son esprit maléfiquement retors. De fil en aiguille, Tenma est considéré comme le tueur en série et est recherché par toutes les polices. De rencontres incroyables (un journaliste solitaire, un crocheteur de serrure, des terroristes, un ancien mercenaire reconverti en formateur de tireur d'élite, un pédospychiatre issu de l'ex-RDA, un jeune garçon, Dieter et un vieux médecin de campagne) en fuites insensées, Tenma conquiert de multiples indices, morceaux dispersés d'un puzzle des plus complexes. Il apprend notamment que l'ex-RDA procédait à d'inquiétantes expériences, dans un orphelinat, sur de jeunes enfants afin d'en faire des guerriers impitoyables.
Johann tente de s'approcher d'un magnat irascible de la finance allemande en lui faisant la lecture chaque vendredi. Pour cela il est étudiant en philosophie et animateur dans un centre pour enfants (où il est adulé par les mômes). Johann, jeune homme idéal, bien sous tout rapport et pourtant semeur de cadavres au long de son parcours: le détective, ancien flic alcoolique, engagé par le magnat pour trouver pourquoi son fils s'est suicidé (il s'averera qu'il n'est pas son fils....les noeuds sont légions dans cette histoire qui paraît sans fin) en a fait les frais. Le docteur Leichwein, le psychiatre qui le suivait dans sa thérapie pour se sortir de l'alcool, se jure de confondre Johann non seulement pour venger le détective mais aussi pour prouver l'innocence de Tenma. Ce dernier a projeté de tuer le vieux financier milliardaire lors de la remise officielle d'innombrables livres de poésie à la bibliothèque. Mais que s'est-il passé dans celle-ci pour que Johann en sorte bouleversé? Un conte tchèque lui est tombé entre les mains....
Le 8è tome est un peu un tome de "respiration" dans lequel on remarque l'humour de l'auteur vis à vis des Occidentaux (Runge,le commissaire du BKA qui s'aperçoit que les Japonais ne porte pas de kimono au quotidien) et de ses compatriotes à l'étranger (le sourire soulignant la gêne de ne pas maîtriser les langues étrangères et la timidité envers les Occidentaux, le karaoké...). La personnalité complexe de Johann a un autre éclairage: un doute s'installe et on se demande s'il est vraiment le monstre froid avéré. Une once de sentiment voire de sensibilité (il est en larmes) affleure à la surface de cette machine à semer la mort.
Je ne vais pas me lancer dans une description, forcément longue, des 10 tomes suivants.
Il est à souligner que les rebondissements sont de plus en plus nombreux, que la course poursuite entre Tenma et Runge est haletante et que les personnages s'entrecroisent en un ballet infernal. La malice, voire la malignité, de l'auteur est de mettre en scène une multiplicité de rôles secondaires et mineurs qui s'avèrent avoir des liens essentiels avec l'intrigue principale. Sans compter que le lecteur se balade dans une grande partie de l'Europe, une Europe fascinante, celle que l'on appelle la Mitteleuropa, creuset de nombreuses idéologies (parfois peu glorieuses) et berceau d'une immense culture artistique. Plus on s'approche du dénouement, plus les imbrications deviennent parlantes et dévoilent le plan hallucinant de Johann au coeur de l'Europe centrale, place stratégique s'il en est. Dans les derniers tomes, une autre facette de Johann inattendue apparaît furtivement et pendant quelques chapitres on espère qu'il n'est pas le Mal incarné. Johann est une victime d'un système totalitaire jouant à l'apprenti sorcier en manipulant psychologiquement, lors de "classes de lecture", à des fins guerrières de jeunes enfants qui peu à peu perdent leurs repères et leur nom. Le Mal viendrait-il de l'absence de nom? Dans le cas de Johann, il n'y a pas que cela: l'ultime épisode révèlera une chose plus insidieuse et on revit une scène terrible où les jumeaux, Johann et Anna/Nina, sont aux côtés de leur mère qui tente de résister à l'injonction de Peter Capek, le raconteur d'histoires de "la classe de lecture". On ne peut jamais échapper au moment du choix à faire....
Tous les ingrédients du thriller sont là: le héros au coeur pur qui n'a de cesse de réparer son erreur, la fille du directeur omnubilée par la réussite de son fiancé qu'elle rejette dès qu'il n'est plus en cour, les seconds rôles mesquins, obséquieux, l'argent pervertissant le système (on donne la priorité des soins aux malades intéressants!), les bassesses humaines, les ignominies des gens au pouvoir mais aussi les âmes belles et lumineuses, anges gardien du héros.
le graphisme est dynamique, tout en rythme et en énergie....et surtout c'est du N&B ce qui aide à supporter les scènes d'opérations (et il y en a pas mal!!).
Comme dans tous les mangas, le héros japonais n'a pas les yeux bridés (mais le professeur d'aïkido de Nina-Anna si!) et les autres personnages d'immenses yeux (surtout les personnages féminins) et ils sont très stéréotypés.
Ce que j'ai apprécié dans la série: les récapitulatifs des personnages principaux et secondaires importants, permettant de remettre au clair les liens entre eux; mais aussi les informations, en fin de tome (cependant pas à chaque fois) sur les régions traversées par les héros, sur les modes de vie au quotidien, sur des éléments géopolitique ou de civilisation offrant au lecteur une occasion d'être curieux et d'élargir son horizon. Ainsi,on apprend que Peter Capek (l'affreux manipulateur de cerveau) ne voit pas son nom du au hasard: Karel Capek (1890-1938) est un des auteurs importants de la littérature tchékoslovaque du début du XXè avec "La guerre des salamandres" qui lui valut la colère d'Hitler.
"Monster" est une série dont la lecture est passionnante, angoissante souvent, avec des chapitres de "respiration" au rythme moins soutenu, pause bienvenue afin de reprendre son souffle après les courses folles à travers l'Allemagne et l'Europe centrale. La fin est surprenante avec, en ce qui me concerne, un goût d'inachevé qui n'enlève rien au plaisir de lire les aventures, presque rocambolesques, du docteur Tenma! "Monster" est mon premier manga et m'a totalement bluffée!
Textes traduits et adaptés du japonais par Thibaud Desbief
Les avis de mangaverse tamara joelle essel caro[line]