" Et vous, heures propices, suspendez votre cours ! " (Lamartine, 1820).
C'est dans la nuit du samedi 30 au dimanche 31 octobre 2021 qu' on passe à l'heure d'hiver. À 3 heures du matin (heure d'été), il sera 2 heures du matin (heure d'hiver). Si vous ne vous réveillez pas pour mettre précisément à l'heure vos horloges et montres, vous aurez gagné une heure de sommeil.
Ce changement d'heure a le don de plonger une proportion non négligeable de la population dans la perplexité récurrente, dans une réflexion mathématico-philosophique sans cesse renouvelé, deux fois par an. Du jour au lendemain, le matin sera plus lumineux à la même heure, et le soir moins lumineux.
Définir l'heure légale est un élément majeur de la vie quotidienne de chacun. Son changement régulier aussi. Il est régulièrement contesté et il fait souvent l'objet d'un " marronnier" dans la presse.
Ce changement d'heure a été initié le 28 mars 1976 par l'introduction de l'heure d'été, décidée par le gouvernement de Jacques Chirac, sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing (décret du 19 septembre 1975). Il s'agissait de réduire notre consommation d'électricité en jouant sur les décalages saisonniers. À l'origine, ce changement était provisoire, le temps de restabiliser le prix du baril de pétrole.
Plus un pays est situé vers un pôle, plus les différences des heures de lever et de coucher du soleil sont importantes entre l'été et l'hiver (à l'Équateur, en revanche, il n'y a en principe aucune différence). C'est pourquoi un Américain qui habite à New York, par exemple, sera étonné par la lumière du ciel d'été le soir à Paris, ou encore de la nuit tombée dès 16 heures voire 15 heures à Saint-Pétersbourg. En Martinique, en revanche, les saisons ont beaucoup moins d'impact sur les heures du coucher du soleil.
Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) dans un rapport publié en 2010, ce changement d'heure a, en 2009, fait économiser 440 GWh en France, soit l'équivalent de la consommation annuelle en éclairage d'environ 800 000 ménages, ce qui a représenté 44 000 tonnes de CO2 en moins dans l'atmosphère. Ce n'est pas négligeable. Le rapport de l'ADEME de 2010 a aussi estimé les économies d'énergie en 2030 provenant du changement d'heure à 470 GWh, soit une très légère augmentation en vingt ans qui peut s'expliquer par le développement de nouvelles technologies qui réduisent par exemple la consommation d'énergie pour l'éclairage (par leds, etc.), parallèlement à la croissance des besoins et consommations d'énergie.
En fait, ce n'était pas le premier changement d'heure. Le député André Honorat a proposé à la France dès 1916 d'écourter la nuit et d'allonger le jour pour faire des économies d'énergie. Le 14 juin 1916, l'heure légale en France à 23 heures est passée à minuit. Et le 1 er octobre, l'opération inverse était faite. Mais cette heure d'été a été abandonnée après la Libération en 1944.
Cependant, en 2018, le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker, voulant démontrer que l'Europe n'était pas seulement faite de réglementation mais aussi de déréglementation, a voulu abroger ce principe du changement d'heure. Il avait un bel argument, une consultation "citoyenne" européenne réalisée en été 2018 qui faisait état d'un large souhait (à 84%) de supprimer ce changement d'heure.
Mais cet argumentation paraissait biaisée : d'une part, seulement 4,6 millions de citoyens ont participé à cette consultation, ce qui, dans l'absolu, est énorme (des consultations de ce type ne reçoivent que 300 000 à 500 000 réponses), ce qui est très peu par rapport aux 450 millions d'habitants que compte l'Europe ; d'autre part, plus des deux tiers des participants étaient ...des citoyens allemands, ce qui limitait la représentativité de cette consultation pourtant européenne. D'ailleurs, qui, des citoyens français, savaient qu'il y avait une consultation de cet ordre en été 2018 ? (Où étiez-vous en vacances en 2018 ?). En tout cas, moins de 400 000 citoyens français ont participé à la consultation. Sur les 67 millions de Français.
Certes, le changement d'heure a toujours eu de nombreux détracteurs. Un rapport du Sénat (français) de 1996 expliquait : " Les controverses autour de l'heure d'été sont nombreuses et de différents groupes de pression se manifestent chaque année afin que la mesure soit abrogée. Hormis le doute porté sur les économies d'énergie que l'heure d'été engendrerait, les associations contre l'heure d'été (...) affirment également qu'elle aurait des effets néfastes sur la santé, l'environnement... ".
En particulier, des agriculteurs français ont évoqué le rythme animal modifié, l'humidité des sols le matin qui retarde le début des travaux agricoles. Des chercheurs suédois ont constaté une hausse de 5% du nombre d'infarctus la semaine suivant le changement d'heure. En France, certains ont parlé d'une hausse de 37% depuis 1976, aussi de trouble du sommeil, de fatigue, d'une augmentation du nombre d'accidents de la route, etc. Mais la plupart des arguments avancés sont rarement prouvés ou sont même complètement faux. Ainsi, pour les accidents de la route, au contraire, le changement d'heure aurait plutôt réduit le nombre d'accidents de la route (avec une heure de jour de plus le soir en été). De même, évoquer la hausse des suicides sur le seul critère du changement d'heure est une aberration puisque le suicide, plus que tout autre événement, est toujours la conséquence de plusieurs facteurs (ce biais est classique et est utilisé souvent avec bonne foi par des non-scientifiques qui confondent causalité et corrélation).
Fort de la consultation européenne, Jean-Claude Juncker voulait aller vite. Le 12 septembre 2018 à Strasbourg, il a par exemple déclaré : " Le changement d'heure doit être aboli. (...) Le temps presse ! ". Son objectif, c'était la suppression du changement d'heure pour l'année suivante, en 2019, année de la fin de son mandat à Bruxelles.
Mais il y a eu un hic : pour arrêter de changer l'heure les derniers dimanches de mars et d'octobre, il fallait définir une heure définitive. L'heure d'été ou l'heure d'hiver ? Par ailleurs, tout en maintenant la souveraineté des États membres, il fallait harmoniser les heures des pays limitrophes, afin de maintenir compatible et cohérent le marché intérieur (en particulier dans le secteur des transports, mais pas seulement).
Or, il a été constaté que les pays du nord préféraient plutôt l'heure d'hiver et les pays du sud l'heure d'été (la logique voudrait pourtant le contraire, voir plus haut). En France, une consultation a été réalisée entre le 4 février 2019 et le 3 mars 2019 par l'Assemblée Nationale qui a permis de recueillir l'avis de 2,1 millions de personnes (résultats annoncés le 12 mars 2019), avec la même proportion favorable à la fin du changement d'heure, 83,7%. Ces citoyens qui ont participé à la consultation étaient à 59,2% favorables au maintien de l'heure d'été pour toute l'année. Pourquoi, pour une question si intime dans la vie quotidienne, ne se référer qu'à l'avis de ceux qui ont fait la démarche de participer à cette consultation et qui n'ont rien de représentatif de la population française (ce sont surtout les plus combatifs) ? Dans un tel cas, un référendum consultatif, c'est-à-dire organisé nationalement avec un débat public, pourrait avoir sa pertinence. D'ailleurs, la preuve que ces citoyens consultés en février 2019 n'étaient pas représentatifs, c'est qu'un sondage réalisé par YouGov pour Linternaute.com sur un échantillon représentatif de 1 035 personnes interrogées sur Internet du 15 au 16 octobre 2020 (l'an dernier) indiquait que 54% étaient pour supprimer le changement d'heure (on est loin de la large majorité de 84%), 34% contre et 12% ne savaient pas.
Il faut se rappeler que la France est un grand pays et qu'il y a environ 1 heure de fuseau horaire entre Brest et Strasbourg. Vouloir garder l'heure d'été même en hiver signifierait que le jour se lèverait à 10 heures du matin à Brest. Ce n'est pas sûr que tout le monde se rende compte des conséquences de ses choix. Quant à garder l'heure d'hiver même en été, cela signifierait la levée du jour très tôt, dès 4 heures du matin.
Toujours est-il que le Parlement Européen a voté le 26 mars 2019 une résolution qui supprime le changement d'heure pour les États membres applicable en 2021. Une directive européenne devait d'ailleurs être rédigée en 2020. Mais en raison de préoccupations plus pressantes et urgentes, la lutte contre la pandémie de covid-19, le Conseil Européen n'a pris aucune décision en 2020 sur ce sujet et l'actuelle Commission Européenne installée en 2019 a l'air d'être beaucoup moins pressée que la précédente pour supprimer le changement d'heure.
À ce jour, tout laisse croire que la suppression du changement ne sera pas pour "demain", ce qui, à mon sens, est plutôt rassurant et sage à un moment où il faudrait réduire notre consommation énergétique. Le site officiel Vie-Public.fr affirme d'ailleurs : " La directive devait être adoptée par le Conseil [Européen] fin 2020, puis transposée par les États membres. Cependant, en raison de la crise sanitaire liée au covid-19, ce texte sur la fin du changement d'heure n'est plus à l'ordre du jour et ne devrait pas être discuté dans un avenir proche. ". Notons aussi que le Parlement Européen qui est à l'origine de cette idée a été complètement renouvelé.
Au-delà de la crise sanitaire qui a fait un barrage ponctuel, la perspective de la suppression du changement d'heure a fait apparaître des problèmes très importants dans la cohésion des États membres : il faudrait en effet fixer une heure pour toute l'année, souverainement dans chaque pays, et qu'elle soit "harmonisée" avec les pays limitrophes (par exemple, éviter de se retrouver d'avoir une heure de moins dans un pays situé plus à l'est).
Et la méthode pour fixer cette heure n'a rien d'évident. On parle de consultation citoyenne, mais cela ne représente qu'une infime partie de la population, et c'est un peu normal que ceux qui s'opposent au principe du changement d'heure soient plus mobilisés que les autres (qui sont pour ou qui sont indifférents). Par ailleurs, le choix de l'heure définitive ne dégage aucun résultat incontournable dans le sens où seule, un moitié des citoyens qui ont participé à la consultation a choisi une heure par rapport à une autre, ce qui signifie que même parmi les personnes mobilisées, aucun consensus ne s'est vraiment dégagé (et j'imagine que cela dépend aussi de la longitude à laquelle on habite).
Bref, et l'élection présidentielle française n'a aucune raison de remettre ce sujet à l'ordre du jour à court ou moyen terme, il semble à peu près certain que la nuit du 26 au 27 mars 2022, nous dormirons encore une fois une heure de moins...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 octobre 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Heure d'hiver : le dernier changement ?
Changement d'heure : une consultation nationale réussie.
Le changement d'heure à l'heure européenne.
Directive européenne 2000/84/CE du 19 janvier 2001 concernant les dispositions relatives à l'heure d'été (à télécharger).
Rapport du 12 septembre 2018 sur la consultation européenne sur le changement d'heure réalisé en été 2018 (à télécharger).
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211031-changement-heure.html
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/heure-d-hiver-le-dernier-236759
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/10/27/39194276.html