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(Note de lecture), Maryvonne Coat, les caduques, par Anne Malaprade

Par Florence Trocmé


   les caduques s’ouvre sur une citation de Christiane Veschambre extraite de dit la femme dit l’enfant, et se ferme sur une précision lexicale rappelant le caractère polysémique du terme caduc/caduque qui, d’abord comme adjectif, renvoie aux choses qui se détachent, puis, comme nom commun, décrit en médecine une partie de la muqueuse utérine évacuée avec le placenta lors de l’accouchement. Cette structure forme les deux moments d’une sorte de parenthèse qui protège le livre lui-même, et filtre, ou guide, notre regard de lecteur. Un lecteur sage-femme ou accoucheur, qui, par son activité silencieuse et pensive, aide le livre-enfant à s’accomplir.
   Lire les caduques, c’est traverser des couches de feuilles, de peaux, de matières végétales et humaines ; c’est y voir de moins en moins clair ; c’est traverser une obscurité constituée de brouillards et de brumes, d’embruns et de moiteurs. Le livre repose sur ces diverses matières sujettes à transformation : les deux types de papiers utilisés jouent de l’opacité et de la transparence, du plein et du vide. A l’un est réservé le vers, à l’autre la prose. Vers bref, constitué d’un, deux ou trois mots. Prose compacte, qui opte pour un texte refusant la grammaire classique. Majuscules et ponctuation ont en effet disparu de la longue phrase sans début ni fin qu’on retrouve au cœur du livre. Ce dernier est constitué de quatre panneaux, chacun étant annoncé par les titres suivants, qui apparaissent systématiquement entre parenthèses : « (fil versant) », « (trame envers) », « (trame versant) » puis « (fil envers) ». Ces titres nous font dériver (le latin trama est une contraction de trans, au-delà, et de meare, couler, se glisser) et voyager sur des « fils » qui tissent la vie des mots et des enfants. Quelque chose coule : ce mouvement peut désigner aussi bien celui du texte que nous lisons que le chemin qu’emprunte nos yeux pour le lire.
   « la chose précieuse » dont le texte raconte la naissance est à la fois l’enfant et le livre. L’un et l’autre proviennent de l’intériorité d’un corps et doivent traverser un certain nombre de frontières avant de « tomber » ou surgir de l’autre côté du miroir. Un jour, donc, ils surviennent et sortent des profondeurs de l’intérieur. La substance liquide « eau soyeuse salée sucrée » qui les enveloppe tout en les protégeant coule elle-même jusqu’à rejoindre l’infiniment grand. Le liquide amniotique se prolonge en océan. De la mère à la mer, il n’y a qu’une voyelle de plus, et un accent grave que le vent, ou notre souffle, peuvent bien emporter où ils veulent. Cette naissance n’a d’ailleurs rien d’évident ni de facile. « nous deux/encore/noués ». La rupture et l’éloignement doivent défaire un certain nombre de nœuds ; l’affranchissement parvient au terme d’un tension et d’une lutte ; il est question de « poing » et de « coup ».
   Et c’est peut-être la silhouette d’un « arbre » à la figure anthropomorphe qui aidera à la séparation et à la coupure. Motif qui réinvente une vie elle-même ancrée dans la terre et la matière. Mais de qui et/ou de quoi l’arbre est-il le nom ? Quelles matrices continuerons-nous à produire ? C’est à cette question que le texte de prose imprimé sur les feuilles transparentes tente de répondre par une sorte de fiction qui réécrit autrement les hypothèses proposées par l’empilement fragile mais entêté des vers qui précèdent et qui suivent. Naissance tragique ? Le liquide amniotique se mêle au sang. Les matières disent le couple fou qu’est éros/thanatos. Ce qui se détache, c’est la vie, mais ce qui tombe, c’est le poids de la mort contre laquelle on ne peut rien. Tas de feuilles, tas de corps, matières portées puis abandonnées. Donner naissance, c’est donner vie à la mort, qu’elle soit immédiate ou retardée. Et c’est un « saule pleureur » qui assiste à cette « oraison funèbre » originelle que chacun d’entre nous porte, pour ne plus cesser de nous déporter vers d’autres scènes que l’on se tue à dire.
Anne Malaprade
Maryvonne Coat, les caduques, Isabelle Sauvage, 2021, 62 p., 14€


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