Couronné du prix Goncourt du Premier roman 2021, ce court récit d’Emilienne Malfatto plonge le lecteur au cœur du crime d’honneur qui doit avoir lieu au sein d’une famille irakienne.
Ayant souvent séjourné en Irak en tant que photojournaliste indépendante, Emilienne Malfatto situe son récit dans un pays qu’elle connaît bien et propose un roman choral qui s’ouvre sur la voix d’une jeune femme enceinte de cinq mois, qui sait que son frère Amir va la tuer le soir même. Enceinte sans être mariée, d’un fiancé qui vient d’être tué à la guerre, elle se retrouve condamnée à mourir afin de préserver l’honneur de la famille.
«L’honneur est plus important que la vie. Chez nous, mieux vaut une fille morte qu’une fille mère.»
L’autrice donne ensuite la parole à chacun des membres de la famille, du frère aîné à la mère, en passant par la belle-sœur et les autres membres de la fratrie. Malgré une sentence inéluctable et connue d’avance, tous viennent témoigner de leur impuissance face à un système dont ils sont prisonniers. Respect de la tradition, acceptation des règles, résignation, lâcheté, impuissance… tous ont en commun d’accepter le verdict comme une fatalité.
« Je suis le lâche, celui qui désapprouve en silence. Je suis la majorité inerte, je suis l’homme banal et désolé de l’être. Je suis le frère de ma sœur qui aime et qui comprend. Je suis le frère de mon frère qui respecte l’autorité de l’aîné. Je suis celui qui condamne les règles mais ne les défie pas. Je suis le complice par faiblesse ».
Chaque portrait est entrecoupé de courts extraits de l’épopée de Gilgamesh et de textes poétiques narrées par le Tigre, fleuve traversant le pays du Nord au Sud et témoin de la folie des hommes depuis des millénaires.
« On m’appelle Tigre mais chaque jour je nais du taureau et de l’orage, là-haut dans les montagnes du nord. Les hommes de cette région ont déchiré mon flanc, éraflé mon flot avec leur métal et leurs pioches. Ils ont élevé des parois de béton et d’acier pour contraindre mes eaux. Ils sont comme le vent dans les roseaux, ils passent mais ne dureront pas. Quand on compte comme moi en millénaires, plus rien n’a vraiment d’importance. »
Derrière cette couverture reproduisant une photographie de l’autrice, se dissimule un texte qui allie simplicité et authenticité. En seulement 80 pages, Emilienne Malfatto dresse quelques portraits qui parviennent à restituer toute la complexité d’un pays déchiré par les guerres et d’une culture qui justifie l’inacceptable…
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Que sur toi se lamente le Tigre, Emilienne Malfatto, Editions Elyzad, 80 p., 13,90 €
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