Aujourd'hui des militantes ont décidé d'interpeller les politiques avec le hashtag #doublepeine où elles racontent l'accueil qui leur a été fait, lors d'un dépôt de plainte pour violences sexuelles, en commissariat ou en gendarmerie.
Je vais d'abord énoncer deux faits.
Il y a quelques années j'avais pour ambition d'établir des fiches techniques à destination des victimes souhaitant portant plainte. Je voulais faire quelque chose de très pratique ; "si tu as été violée en zone gendarmerie, tu vas là, puis ici puis enfin là". "en zone police, tu fais ceci". "à Paris tu fais cela". "si tu as été violée dans un train ca sera telle procédure". On manquait d'outils extrêmement pratiques de ce genre, je m'étais dit (naïvement) que cela serait vite réglé. J'ai donc demandé un rendez-vous au 36. J'ai été reçue par une ponte de la police, qui m'a expliqué que tout allait très bien dans le meilleur des mondes, qu'il suffisait d'appeler le 17 ou d'aller au commissariat et m'a ensuite tenu des discours lunaires sur les filles en jupe qui boivent de l'alcool. Elle m'a ensuite conviée à un rendez-vous dans une brigade de police spécialisée dans les violences sexuelles et est restée tout au long du rendez-vous. Je n'ai pu obtenir aucune information sur la procédure à suivre pour porter plainte et ai été traitée comme une coupable qui venait dire du mal de la police. C'est vous dire d'où on part.
Fin 2017, les directeurs généraux de la gendarmerie nationale et de la police nationale ont été auditionnés à l’Assemblée nationale et ont tous deux reconnu un manque de formation de leurs services.
La situation est donc connue depuis plusieurs années. On pourrait se dire qu'on progresse mais attendez la suite.
Suite à cela ont été initiées les fameuses fiches formations à destination des professionnel-l-es amené-e-s à côtoyer des victimes. Vous en avez des exemples ici. Ces fiches sont évidemment insuffisantes car elles ne remplaceront jamais un échange où l'on peut voir où les élèves achoppent, tiquent, ne comprennent pas.
On nous a annoncés que grâce à ces fiches les professionnels avaient été formés et on nous a annoncés des chiffres faramineux. Schiappa disait ainsi que "17 000 gendarmes" et "plus 18 000 policiers" ont été formés à ces violences depuis le Grenelle contre les violences conjugales, l'an dernier."
Aujourd'hui Schiappa nous annonce que début 2022 (dans 3 mois donc) il y aura 100 000 gendarmes et policiers seront formés. Comme on ne sait pas d'où on part, pratique de sortir ce chiffre. et formés à quoi très exactement ? Je crains que le "100 000" indique au final le nombre de fois où les fiches seront téléchargées.
Je vais à présent vous exposer quelques études qui ont relevé des problèmes au niveau des dépôts de plainte pour viol dans différents pays :
- Une étude suédoise analyse les déclarations d’officiers de police et de procureurs. Près des trois quarts pensent que les émotions manifestées par la victime permettent de savoir si elle dit la vérité. Plus de la moitié pensent qu’une façon de répondre «inappropriée» témoigne qu’elle ment.
- Une étude menée aux États-Unis a montré que si les policiers ont bien conscience que le viol est un crime, ils sont toutefois susceptibles de discriminer les victimes qui ne correspondent pas à leurs stéréotypes.
- Une étude néozélandaise analyse les rapports de police sur des cas de viol. Dans près des trois quarts des cas, la
police a classé comme faux ou possiblement faux les dossiers où la victime était ivre.
On sait donc qu'il y a des problèmes dans TOUS les pays du monde au sujet des plaintes pour violences sexuelles. J'ai bien envie de vous dire qu'on pourrait donc passer la phase "constatons qu'il y a un problème" pour passer à la phase "on sait qu'il y en a un partout, on n'est pas plus géniaux que les autres donc passons à la phase résolvons ce problème" mais les politiques adorant faire rédiger des rapports coutant des fortunes, allons-y.
La bonne nouvelle - parce qu'il en faut bien une - c'est que de nombreux pays ont, avant nous, pris conscience du problème et enquêté et travaillé sur les préjugés de leur police ET leur justice (parce que la double peine continue après le commissariat - et le discours actuel de la justice est tout de même de dire qu'il n'y a pas de problème mais s'il y en avait - et on vous dit qu'il n'y en a pas - c'est parce qu'on manque d'argent et pas du tout parce que certain-e-s sont des parfaits salopards sexistes en plus imbus d'eux-mêmes).
Nous avons donc des outils permettant par exemple, d'établir le degré de sexisme (parce qu'on se doute bien que derrière des préjugés envers des victimes de viol se cachent des préjugés sexistes, homophobes, transphobes etc) et également des questionnaires pour établir le niveau de connaissance des policiers et des gendarmes face aux violences sexuelles.
Posons nous une question simple. Comment voulez vous former quelqu'un dans un domaine si vous ignoriez son niveau dans le dit domaine ? Lorsque j'ai pris des cours d'anglais, on m'a d'abord évalué sur mon niveau afin de savoir ce qu'il me restait à apprendre. C'est strictement la même chose ici ; on ne forme pas les gens sans savoir ce qu'ils ignorent ou pas. Sait-on combien de policiers pensent qu'un viol ca doit nécessairement être un peu violent ? Combien de policiers pensent que tout de même un doigt ca n'est pas aussi grave qu'un pénis ?
Dans certains pays, on a fait des choses tout à fait formidables . A Philadelphie, Montreal, Quebec, des avocat-e-s et des associations féministes évaluent la qualité des enquêtes pour viol classées sans suite. Elle regardent la qualité des interrogatoires, regardent si tout a été bien mené. Dans toutes ces villes le taux de classement sans suite a diminué. Vous constaterez avec ce lien que tout est loin d'être parfait mais encore une fois certains ont tenté des choses avec plus ou moins de succès dont nous devrions nous inspirer.
Il est important donc :
- d'évaluer le niveau de formation des policiers et gendarmes
- de les former ensuite
- de reprendre sur 5 ans (dix serait l'idéal mais ne rêvons pas) l'intégralité des enquêtes classées sans suite afin de voir si tout a été correctement mené.
Bien évidemment, je ne suis pas naïve. A six mois des présidentielles rien ne sera fait. Et se mettre à dos la police, la gendarmerie, puis la justice (si on décide de s'attaquer aussi aux préjugés dans la justice, vaste sujet) n'est électoralement pas intéressant. Espérons un jour qu'il y aura une politique assez courageuse pour le faire.
Au passage j'en profite pour vous signaler que la campagne Don't be that guy que vous avez vu sur les RS et qui est une campagne écossaise est inspirée de la campagne canadienne sur le sujet visible ici. La police de Calgary avait dit à l'époque que cette campagne avait permis que les agressions sexuelles diminuent de 10%. Info, intox ? Dur à dire. Mais on gagnerait à creuser davantage sur l'impact qu'elle a eue et à peut-être s'en inspirer en France (vu que les politiques adorent lancer des campagnes de pub qui ne coutent pas cher et permettent d'arroser les copains au passage... ).