Claudio Rodríguez – Ce qui n’est pas un songe

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Laisse-moi te parler, à cette heure
de douleur, avec de joyeuses
paroles. On sait bien
que le scorpion, la sangsue, le pou,
soignent parfois. Mais toi écoute, laisse-moi
te dire que, malgré
tant de vies déplorables, oui,
malgré cela et même à présent
que nous sommes déroutés, jamais domptés,
la douleur est le nuage,
la joie, l’espace ;
la douleur est l’hôte,
la joie, la maison.
Car la douleur est le miel,
symbole de la mort, et la joie
est aigre, sèche, neuve,
la seule chose qui ait
un véritable sens.
Laisse la vieille sagesse
te dire :
malgré,
malgré tout,
et même si elle est très douloureuse, et même si
elle est parfois immonde, toujours, toujours
la plus profonde vérité est la joie.
Celle qui d’un fleuve trouble
fait des eaux claires,
celle qui me fait te dire
ces paroles si indignes à présent,
celle qui nous arrive comme
nous vient la nuit et comme le matin,
comme vient aux rives
la vague
irrémédiablement.

*

Lo que no es sueño

Déjame que te hable en esta hora
de dolor, con alegres
palabras. Ya se sabe
que el escorpión, la sanguijuela, el piojo,
curan a veces. Pero tú oye, déjame
decirte que, a pesar
de tanta vida deplorable, sí,
a pesar y aun ahora
que estamos en derrota, nunca en doma,
el dolor es la nube,
la alegría, el espacio;
el dolor es el huésped,
la alegría, la casa.
Que el dolor es la miel,
símbolo de la muerte, y la alegría
es agria, seca, nueva,
lo único que tiene
verdadero sentido.
Déjame que, con vieja
sabiduría, diga:
a pesar, a pesar
de todos los pesares
y aunque sea muy dolorosa, y aunque
sea a veces inmunda, siempre, siempre
la más honda verdad es la alegría.
La que de un río turbio
hace aguas limpias,
la que hace que te diga
estas palabras tan indignas ahora,
la que nos llega como
llega la noche y llega la mañana,
como llega a la orilla
la ola:
irremediablemente.

***

Claudio Rodríguez (1934-1999)Alianza y condena (1965) – Poésie 1, n°52 – La nouvelle poésie castillane d’Espagne – Traduit de l’espagnol par.Annie Salager.