*Oui je sais j’aurais du le voir au cinéma car sur grand écran la nature très belle comme la forêt américaine une vache et l’amitié doivent trembler vibrer en nous….,Sur Première un récit très juste de la vision sur petit écran, de ce film éclairé tout en lumière naturelle ou presque, ca change !
First Cow sur MUBI : un film tout simplement magnifique [critique]le 09/07/2021 à 09:39 par Thomas Baurez Un long navire marchand traverse le cadre horizontalement avant de s’éclipser. La caméra n’a pas bougé. Puis c’est un chien que l’on voit s’agiter au milieu des herbes hautes. Des oiseaux piaillent, des bruits de moteur résonnent faiblement dans le lointain. Une femme creuse bientôt la terre révélant deux squelettes humains intacts, qui semblent avoir été dérangés en pleine sieste par ce dévoilement soudain. La femme lève la tête, comme si une réponse pouvait venir des cieux. C’est pourtant bien là, à hauteur de ce sol en friche, depuis cette terre abandonnée, que viendra la réponse.
Un gros plan nous montre maintenant des mains qui arrachent délicatement des champignons. Tout est pareil. Tout est différent. Possiblement au même endroit mais plus à la même époque. Nous sommes, on le devine bientôt, dans l’Amérique des pionniers, quelque deux cents ans plus tôt. Kelly Reichardt croit suffisamment à la délicatesse et la puissance expressive de son art pour opérer ce genre de voyages spatio-temporels sans avoir besoin d’envoyer des signaux de reconnaissance. Tout s’enchaîne avec une douceur paradoxale. On se demande quand cette limpidité dans l’exécution sera brisée, révélant peut-être une faille.
Voilà maintenant une bande d’aventuriers qui attend sa pitance en mettant la pression à l’un d’entre eux, Cookie, le cuistot (John Magaro), en charge de régaler la troupe avec les moyens du bord. C’est en sondant chaque centimètre de terrain pour voir ce qu’il a à offrir, que ce dernier va croiser King Lu, un immigrant chinois en fuite (Orion Lee). Ainsi débute First Cow, dans une sorte de torpeur relative où une nature caressée par la main de l’homme révèle des secrets. Les ossements oubliés font corps à nouveau. Le film de Kelly Reichardt, inspiré du roman The Half-Life de Jonathan Raymond, va retracer, on s’en doute, un morceau de leur histoire
NOUVEAU MONDE
First Cow est le deuxième western de Kelly Reichardt après La Dernière Piste en 2011. Mais là où le précédent racontait un périple, First Cow embrasse un périmètre volontairement restreint, une clairière non loin d’un village dont on ne verra que les maigres fondations. De ce territoire à peine civilisé doit naître un nouveau monde. Cookie et King Lu sont devenus des compagnons de fortune. L’un a le savoir-faire, l’autre, de la suite dans les idées. Ils se lancent dans le commerce de petits beignets fabriqués avec le lait de la première et seule vache du coin. Toutes les nuits, les deux hommes, tels des Sisyphe miniatures, volent le lait du ruminant docile à l’insu de son riche propriétaire qui s’avère être, le jour venu, leur meilleur client (Toby Jones, excellent). Cette économie de bout de ficelles – libérale avant l’heure – dessine les fondements volontiers absurdes d’un pays qui s’apprête pourtant à être le phare du monde (c’est la fonction mythologique du western). Le film dessine dès lors une sorte de boucle, de routine, où le running gag a les apparences d’une logique fragile. Cette entreprise basée sur la dissimulation et la tromperie va bien finir par céder. Là où l’homme marchande, la nature muette se défend.
AMITIÉ
Kelly Reichardt dédicace son film au cinéaste expérimental américain Peter Hutton décédé en 2016, connu pour ses portraits en plans fixes et silencieux de paysages, "humbles et stupéfiants" pour reprendre les mots d’un critique américain. La cinéaste y a puisé une façon tout aussi apaisée d’appréhender l’espace, où la présence des corps en son sein ferait presque tache. La nature, on le sait d’emblée, sera bientôt un linceul. Et Cookie et King Lu, nos deux compagnons devenus dormeurs du val, auront préalablement répondu le mieux possible à l’appel d’un vers de William Blake que Kelly Reichardt a pris soin de mettre en exergue de son film : "À l’oiseau le nid, à l’araignée la toile, à l’homme, l’amitié." First Cow est un film tout simplement magnifique.
First Cow de Kelly Reichardt - Avec John Magaro, Orion Lee, Toby Jones... - Durée 2 h 02 - Disponible depuis le 9 juillet sur MUBI, au cinéma le 27 octobre 2021.
Via Viviane Perelmuter et Isabelle Ingold cinéastes photographes singulières er amies de cœur
Discussion hier entre Kelly Reichardt et Joachim Lafosse au Centre Pompidou après la projection de NIGHT MOVES.Tout de suite, Joachim, avec une simplicité toute belge, propose à Kelly de s’assoir sur l’estrade plutôt que de rester debout. C’était une chouette idée car la discussion est devenue plus confortable mais surtout plus intime (il me semble qu’on porte moins la voix quand on est assis-e que debout). Pas mal de gens avaient quitté la salle (horaire trop tardif pour ceux et celles qui habitent en banlieue ?) donc nous qui étions resté-e-s avions très envie d’entendre Kelly Reichardt. Et le plus chouette, c’est que Joachim Lafosse aussi !! Il l’avait dit au moment d’introduire le film : il ne la connaissait pas, il était impressionné de la rencontrer. Et vraiment ce n’était pas des mots en l’air, pas une posture. Il n’était pas venu pour parler de lui mais il était sincèrement curieux de connaitre les méthodes de travail de Kelly. Jamais, à aucun moment il n’a ramené à lui, à son propre travail (c'était même plutôt Kelly qui lui disait: "Toi aussi peut-être dans ton travail..."). Et donc, tranquillement, Joachim passe en revue tout le travail de la réalisatrice : le scénario, les repérages (dés l’écriture avec le co-scénariste/écrivain, le chef op, le(s) producteur(s) aussi), le rapport au producteur (à quel moment Kelly leur parle du projet), le casting des rôles principaux, le casting des seconds rôles (sur place ou d’ailleurs), les lectures en amont avec les acteurs, le découpage (avec le chef op?), le montage, le montage son. Il m’a semblé que rapidement Kelly Reichardt a compris que Joachim ne lâcherait rien, pas une étape, pas un moment (et là, sans doute a-t-elle été soulagée rétrospectivement de ne pas être restée debout !!)Il y avait dans toutes les questions de Joachim Lafosse un fil rouge: celui de la collaboration, de l’apport des techniciens et acteurs/actrices dans le travail de Kelly Reichardt. Et au fil des réponses se dessinait une évidence : Kelly travaille dans la durée avec les mêmes scénaristes, les mêmes producteurs, le même chef opérateur (on aurait pu dire actrice aussi en pensant à Michelle Williams) et s’il y a un dialogue qui passe par des échanges de textes, de tableaux, de musiques que Kelly Reichardt collecte pendant la préparation d’un film et dont elle les nourri et sur lesquels ils réagissent, c’est elle qui décide de tout : l’apport du chef op au moment du découpage ? Réponse de Kelly Reichardt : « si c’était lui qui décidait de la place de la caméra, ce serait son film ». L’actrice principale improvise-t-elle parfois ? Pas du tout, à aucun moment même. La collaboration sur le montage son avec l’assistant image (dont Kelly venait de dire qu’il faisait aussi du son) ? "Collaboration ? " (elle fait une moue qui fait comprendre que le mot n'est pas juste). Il remplace simplement les sons que Kelly a placés la veille sur la timeline par de meilleurs sons pris dans les sons seuls. Alors merci Joachim de nous avoir permis de comprendre cela avec force.(Soit dit en passant : Dommage que le traducteur s’obstinait à traduire « dam » par « marais » au lieu de « barrage ». Une fois, deux fois, trois fois. Visiblement, il n’avait pas vu le film !!)———————————————————————Frank Beauvais est un fin connaisseur du travail de Kelly Reichardt et nous raconte dès l’introduction de Old Joy hier soir au Centre Pompidou que, travaillant à Arte, il avait reçu une cassette VHS (old timer va !!) de Ode sur son bureau et découvre ainsi Kelly Reichardt. Depuis, il suit assidûment son travail et dit, avec un sourire presque enfantin, combien il envie ceux/celles qui ce soir vont découvrir Old Joy pour la première fois. Il est heureux pour eux/elles, une joie par procuration en quelque sorte et on le comprend (New Joy / Old Joy).
Après la projection, vient le moment attendu du débat. Et là, en une question de Frank, Kelly Reichardt voit à qui elle a à faire. Ce qui frappe chez Frank, c’est que, fort d’une cinéphile de ouf (encyclopédique et hétéroclite), scrutateur assidu des génériques, il veut tout savoir des liens, des connections souterraines, des réseaux, des passages entre un univers et l’autre (de la musique au cinéma, de la pensée de Howard Zinn au cinéma de Kelly Reichardt). J’imagine dans sa tête une toile immense, complexe et enchevêtrée qui se tisse, étend ses ramifications ou se défait par endroits au fur et à mesure des confirmations (ou infirmations) de Kelly Reichardt. Elle est là, en personne et peut répondre à toutes ses questions. Nous qui sommes là, écoutons religieusement, fasciné-e-s de tant d'érudition.
Dans cette conversation, j’attrape ce qui moi m’intéresse, cette phrase de Kelly Reichardt (toujours magnifiquement traduite par Massoumeh Lahidji) qui parle à propos de Old Joy de cette sorte de «concurrence entre gens de gauche pour celui qui serait le plus cool» et je fais le lien avec ce que Kelly Reichardt avait dit lors du débat de Night Moves à propos de la réception du film aux Etats Unis. Kelly avait raconté que Night Moves avait été critiqué par les écologistes de Greenpeace pour ce portrait d’un activiste écologique qui fini mal. Et dans Old Joy, il y a notamment ces longs moments de radio au début du film que Kelly Reichardt a ajouté au montage (clairement et d’ailleurs, elle ne s’en cache pas et ne les joue pas "au plan" comme on dit). Elle les a donc consciencieusement choisi ces moments de radio et on y entend à propos des Démocrates : « Ils ne vont pas vers le peuple. Il ne suffit pas de taper à la porte, il faut frapper fort !! Et l’âne démocrate qui boit son thé en se demandant : « Est-ce que je me lève pour ouvrir la porte ? » »Savoir si Kelly Reichardt est de gauche n’est pas la question (il me semble que l’affaire est entendue) mais, tout comme pour les écologistes radicaux de Night Move, ici, dans Old Joy, parlant cette fois des citadins de gauche de l’Oregon, elle passe le kärcher, enlève le verni et montre ce qu’il reste !————————————————————————De la master class hier de Kelly Reichardt, il ne restera rien sur la chaine YT (qui l’a diffusée en direct). Donc il ne restera que les traces dans la mémoire de celles/ceux qui étaient présent-e-s hier en ligne ou en vrai dans la petite salle du Centre Pompidou. C’était donc un moment, juste un moment.
De moment justement, il a beaucoup été question dans la discussion. « Working the moment » (Travailler sur le moment / Filmer le moment), filmer ce qui se passe.Chez les étudiant.e.s de La Sorbonne puis de La Fémis à qui Judith Revault d'Allonnes a généreusement donné la plus belle place (celle de poser des questions), on carbure pour les grandes idées et les grands thèmes (les « mythologies américaines », « versions réactualisées du rêve américain », « l’origine du capitalisme »). Mais Kelly Reichardt ne sait que dire ("I used to have a solid answer" sous entendu "I don't have any more"). Comment en effet, prendre ces questions qui sont à la fois des compliments mais qui l’embarrassent car viscéralement Kelly Reichardt refuse les grands mots.
Même si bien sûr, elle le dit : un film est toujours ancré dans l’époque dans laquelle il est né. "La dernière piste" a été filmé à l’époque où Bush emmène toute l’Amérique dans le désert d’Irak comme Stephen Meek emmène la caravane des pionniers dans le désert sans savoir lui-même où il va. Mais il faut remettre les grandes idées (the Wildness pour Old Joy, la conquête de l’Ouest pour La dernière piste, le rêve américain pour Wendy and Lucy) à leur juste place : celle d’un background, d’un arrière-plan, d’un décor pour filmer ce qui se passe, le moment et espérer qu’elles reviennent dans le film (espérer par exemple pour Old Joy, que la nature revienne). Mais c’est l’instant qu’on filme. Dans Night Move, c’est l’histoire, dans Old Joy c’est le trajet des deux personnages.Et Kelly Reichardt de conclure par cette phrase inouïe : mes films sont des films de personnages, ce ne sont pas des films politiques.
Il y avait dans cette soirée, ce face à face saisissant entre deux générations : la jeune génération des étudiant.e.s plein.e.s d’enthousiasme et surtout rêvant encore cette Amérique des grands idéaux, et puis Kelly Reichardt qui ramène des images de l’Amérique d’aujourd’hui (pas rêvée mais réelle cette fois) : celle des tentes de SDF à New York, celle de ce chauffeur de taxi qui travaille 70h par semaine sans pouvoir se loger convenablement ni avoir une couverture sociale. « Quel rêve américain ? C’est dépassé !! Ces gens-là, j’aimerais bien savoir ce qu’ils pensent du rêve américain !! Je suis de la première génération qui n’a pas fait mieux que ses parents, pour qui l’ascenseur social n’a pas fonctionné et quand je vois mes étudiant.e.s (même si je leurs souhaite de faire des films) je me dis : de quoi vont-ils vivre ?!! »
Quelle belle idée Judith Revault d'Allonnes d’avoir imaginé cette rencontre entre Kelly Reichardt et ces jeunes cinéastes en herbe et ainsi, de nous donner à voir une forme de perspective temporelle. Car dans l'écart entre ces étudiants et la cinéaste confirmée se lisait quelque chose du chemin parcouru entre River of Grass et les films suivants: lâcher les grandes idées. Kelly Reichardt a dit justement (pendant la master class) à propos de River of Grass qu’aujourd’hui elle voit les références à d’autres cinéastes qui suintent à chaque scène. Et quand un extrait de ce premier long métrage passe dans la salle, Kelly Reichardt fait comme toutes celles et ceux qui sont sur l'estrade : elle se retourne vers l’écran qui est littéralement derrière elle et, dans cette torsion du corps, la position est mal aisée, inconfortable. Se retourner sur le passé, voir les travers d’un film ancien, d’un premier film, c’est pénible et elle le dit « cette voix off, c’est tout ce que je dis à mes étudiants de ne pas faire : quand la voix dit où on en est dans l’histoire ». Et puis elle ajoute : "mais ce mouvement de caméra, c'est pas mal". Le geste plutôt que le mot. Oui, le geste plutôt que le mot !