Fil narratif à partir de : Myriam Louyest, installation dans le salon royal de la gare centrale (Bruxelles) – Miguel Benasayag et Bastien Cany : « Les nouvelles figures de l’agir. Penser et s’engager depuis le vivant », La Découverte 2021 – Roberto Calasso, « Le chasseur céleste », Gallimard – Jean-Christophe Cavallin, « Valet noir. Vers une écologie du récit », José Corti – Libération : « Le bijou d’anus, joaillerie de luxure » – Un jardin, des souvenirs…
Il revient du potager. Enfin, de l’ancien potager en terrasses, engoncé dans la montagne et la forêt, progressivement retournant à l’état de nature, la forêt gagnant du terrain, les murets de pierres sèches s’éboulant inexorablement, imperceptiblement, peut-être ne s’agit-il pas d’effondrement proprement dit, mais d’une transformation en autre chose, mélange de pierres et de traces de l’activité humaines, de végétations envahissantes, d’habitats d’insectes, de rongeurs, d’oiseaux, de reptiles. La zone potagère, plus exactement, était un agencement de parcelles individuelles, correspondant aux différentes maisons du hameau, imbriquées les unes dans les autres, la plupart actuellement abandonnées ou vivotant avec l’une ou l’autre habitant vieillissant, certaines se réveillant au moment des vacances. Il n’y a plus rien semé depuis des années. Les légumes cultivés autrefois poussent, mûrissent, se resèment. Cela, pour certaines variétés, depuis des propriétaires précédents, plus ou moins lointains, traces de générations disparues. Ce qui fait que, cherchant parmi les plantes sauvages, il récolte des légumes dispersés, poussant spontanément, sans culture. Il ne travaille plus le potager, celui-ci est devenu un espace de cueillette, il renoue avec les gestes du cueilleur – ceux-ci remontent en son organisme, naturellement, comme vestige primitif prêts à reprendre du service. Expérience d’une toute autre temporalité – la subsistance par la cueillette remontant à des époques très antérieures ! – , il bascule donc, à certains moments, véritablement, dans d’autres rythmes, d’autres rites. « Quand nous coucherons dehors, quels nouveaux récits inventerons-nous ? » (Jean-Cristophe Cavallin) Il n’en sait toujours rien. Il y est pourtant, dehors, jour et nuit, niché sur sa terrasse customisée en cabane, en abris nomade arrimé aux briques d’une carcasse-maison. Il a posé sur la table des feuillages de fenouils, des poignées de feuilles de tétragone et de roquette, des carottes biscornues. Assis devant un café, il rumine sa relation au temps, aux espaces. Il s’y retrouve de moins en moins, parfois angoissé, parfois jouissant de ce lâcher-prise total, en roue libre. Il s’arrête à sa relation étrange, déstabilisante, faites de convergences et divergences entre paysages réels et souvenirs de paysages. Où est la carte, où est le territoire ? Le trouble surgit chaque fois qu’il se remémore ou qu’il rêve être en train de pédaler ou survoler telle ou telle contrée. Réminiscence d’émotions réelles éprouvées jadis ou fuites dans des pays imaginaires (fabriqués à partir de sensations vraies, enregistrées) ? Il se rappelle comment, dans le monde de là-bas d’où il s’est exfiltré – et auquel il pense pouvoir toujours adhérer, au cas où, grâce au smartphone exposé au mur, sous vitre, avec une batterie de rechange, à la manière d’une bouée de sauvetage -, l’invasion numérique avait peu à peu brouillé embrouillé toutes les données situationnelles. « … loin d’incarner un quelconque projet de connaissance, la promesse des technoprophètes de rendre le monde transparent à lui-même porte en elle cette vieille haine de la vie propre aux métaphysiques centrées sur l’au-delà. Les techniques numériques ne cherchent pas à discipliner ou à contrôler les territoires depuis l’extérieur. Ce qui explique d’ailleurs la difficulté d’identifier de véritables espaces de conflictualités. Elles s’en emparent, les transforment et les disloquent depuis l’intérieur. Rien ne semble s’opposer à la numérisation, car elle-même ne s’oppose à rien. Elle internalise tout, en niant toutes formes d’altérités et d’identités singulières. Tant et si bien que ce n’est pas la carte qui domine le territoire, mais le territoire qui finit par se dissoudre en elle. Dans son ambition délirante d’un monde totalement transparent, l’idéologie du « tout informationnel » écrase non seulement les singularités propres au vivant et à la culture, mais elle s’attaque aussi à nos possibilités d’agir de penser, d’aimer… Bref, d’exister. » (Benasayag/Cany, « Les nouvelles figures de l’agir »). Dans quel temps, quel territoire, quelle carte existe-t-il ? Chaque fois que ses pensées rôdent dans ces parages troubles – affectés probablement par la quantité de cellules neurales perdues -, il se retrouve mentalement dans un même décor, bien spécifique, où s’agencent tous les éléments de ces réflexions. Un décor symbolique mais correspondant à un espace, un lieu et un moment précis où il fut, réellement. Le décor d’une expérience qui engendra de nombreuses digressions dans son imaginaire. Le début de quelque chose. Une installation artistique dans une gare de la capitale, au cœur d’un flux incessant trains, de voyageurs, de navetteurs, de sans-abris faisant la manche, d’annonces micros sur les arrivées et les départs, les retards, les annulations, les changements de voies, les défaillances techniques, les gens sur les voies, les accidents de personne, les recommandations sanitaires, les alertes aux pickpokets. Dans cette fourmilière, contrastant avec les aléas qui font l’inconfort structurel des voyages et la déliquescence des chemins de fer souffrant de la perte de puissance du pouvoir public, un sas immobile, où tout s’arrête. Où tout s’est arrêté depuis très longtemps. Y entrer n’est pas vivre la sensation du présent figé, mais de plusieurs passés immobilisés, embaumés, ainsi que le futur. C’est au centre de l’architecture ferroviaire de Victor Horta, comme un coffre-fort taillé dans le marbre, un Salon royal, dérobé, dont l’existence est ignorée de quasiment tous et toutes. Salle d’attente théorique pour les membres de la famille royale et leurs invités diplomatiques. Salon qui ne fut presque jamais utilisé, une sorte de vue de l’esprit, une réalisation dépouillée et luxueuse, minimaliste et miroir du pouvoir hiératique, une bulle dans la pierre, superbe vacuité, fascinante comme toutes les choses belles, brillantes, sophistiquées qui semblent n’avoir aucune raison d’être, « chues de nulle part ». Mais, en l’occurrence, malgré un magique anachronisme, ne faisait que rappeler que nous vivions dans une monarchie. L’ouvrir et le visiter, cela s’apparentait à ces expériences où l’on enterre des objets d’aujourd’hui pour que des êtres futurs les découvrent un jour et s’interrogent sur le design mental de notre vie, ou ces recherches extrêmes de l’autre qui consiste à envoyer dans l’espace un satellite contenant des livres, des enregistrements, des preuves de notre civilisation adressées à d’hypothétiques autres civilisations. Entrer en relation avec l’inconnu, laisser des traces et des messages pour l’improbable. Imaginer ce qui traverse l’esprit de ceux et celles qui déterrent, captent le satellite et en inventorient le contenu. C’est là, c’est ça, que l’artiste invitait à découvrir, en pénétrant en ce bijou hors du temps, la crypte monarchique complètement creuse, en y éparpillant avec soin, un chapelet d’œuvres discrètes, soignées et en harmonie avec les matériaux du salon, autant de signes permettant une lecture, un cheminement dans les significations de l’espace clos. Les œuvres pouvaient donner l’impression de faire partie de l’aménagement, avoir toujours été là, être les restes des quelques visites, lointaines, qui s’étaient produites et avaient été interrompues par l’arrivée d’un train ou d’un chauffeur du palais. Des objets oubliés par les derniers voyageurs ayant séjourné dans cette salle des pas perdus hors du commun. En harmonie, mais écrivant une subtile désynchronisation, désincarcérant les différents éléments du décor de leur gangue exclusivement royale, se réappropriant cette part de royauté pour un récit plus démocratique. Détournement de l’autorité.
On entrait sur rendez-vous, masqué, après s’être lavé les mains au gel, ou en exhibant un passe sanitaire. On était admis en nombre limité, gestes barrières obligent. Comme l’espace était relativement réduit, on pouvait y séjourner quelques temps en toute intimité, avoir l’impression de posséder ce salon à soi. Il était exceptionnellement accompagné d’une jeune amie, avec qui il venait de déjeuner et boire pas mal de vin. Ils devaient ensuite prendre le train, rouler assez longtemps, pour rejoindre des lieux sauvages, isolés. Quand le service d’ordre leur fit signe, il s’engagèrent entre deux murs de marbre splendide, impressionnant, deux immenses presse-papier qui le fit se sentir très mince, sans poids. Deux falaises-miroirs. Sans doute est-ce à ce moment qu’une distance s’établit entre lui et sa compagne. Car, de son côté, il entrait de plein pied dans l’irréel car la pierre – trop splendide, trop incroyable – semblait impalpable. Le dessin de ses veines évoquaient d’immenses ailes diaprées, palpitant faiblement – ou palpitation très lointaine -, alignées et se mirant en haie d’honneur. Le dessin des veines du marbre donnait le vertige. Comme sans limite, il s’affirmait comme tracé méticuleusement, volontairement, par les entrailles de la pierre, celles-ci possédant dès lors une capacité de langage esthétique immémoriale. Cela ne semblait pas une production géologique aléatoire et révélait de façon probante une fascinante géographie intérieure, ignorée des humains. Un pays perdu. Une promesse d’une nouvelle terre. Comme vue de très haut, une ramification de fleuves et les branchies d’immenses forêts émergeant de profondes banquises. Il perdit plus ou moins tout contact rationnel avec son amie. Ils échangeaient bien des regards, des mimiques, mais respectant le silence, chacun vaquant dans cet appartement momifié à son propre rythme, chacun submergé par des émotions trop singulières et individuantes. Chacun dans sa bulle, flottant dans leurs imaginaires respectifs à la manière de cosmonautes dans leur navette spatiale, jouissant de leur connivence abstraite, sublimée. La dernière, peut-être. Se rappelant les visites qu’ils faisaient autrefois dans divers lieux d’art. Ils n’étaient plus que les ombres de cette époque. S’étaient-ils réellement retrouvés ? Il était vieux, resté trop longtemps à l’écart de tout., comment pouvait-il réellement se raccrocher à ce qu’est devenu ce qui fut, renouer ? Sur la table aussi raide que celle d‘un quartier général enfoui dans son bunker, de vaste cartes d’état-major étaient étalées, avec crayons et gommes, une configuration d’une séance de travail. Il s’approchèrent. On eut dit des topographies naissantes, des relevés en cours, incomplets, des courbes géologiques hypothétiques, des tracés de routes et chemins en suspens, des lacets fluviaux dans le vide, des agglomérations esquissées. Un paysage vierge. L’ébauche d’une région, un bout de pays à explorer, contrastant avec la conviction que toute la planète a été cartographiée, qu’il ne reste plus aucune contrée inconnue. Là, soudain, cette table et ces plans réinjectaient de l’inconnu dans la perception du monde. Enfin, là, dans cette salle d’attente, retrouver une destination inconnue, une vraie raison de monter à deux dans un wagon pour se laisser emporter. Leurs mains s’effleurèrent, cherchant à saisir quelque chose de cette cartographie fantôme, de caresser ces contrées à inventer, inspirées par les veines du marbre. S’immiscer dans ce pays de chair marbrée. Ils reprirent leur exploration chacun de leur côté. Les gardiens s’étaient absentés, en discussion animée à l’entrée. L’écho de leurs voix parvenaient déformées par la distance, sons d’une autre réalité. Des fragments d’œuvres avaient-ils, oui ou non, été dérobés ? Pour en avoir le cœur net, il fallait que l’artiste vienne procéder avec eux à un inventaire scrupuleux. Qui pouvait lui téléphoner ? (…) Il s’arrêta devant l’horloge arrêtée au pied de laquelle gisaient les fragments d’une comète de verre, collision de plusieurs temporalités. C’était le signe que l’autorité de l’horloge définissant une seule ligne du temps à partir de laquelle le vivant est censé se synchroniser s’était arrêtée, à un moment. S’en était-on rendu compte ? Était-ce le signe d’une nouvelle liberté ou l’impact d’une autre forme de « prise en otage » du temps comme commun à organiser au mieux? L’étoilement du verre au sol lui sembla symboliser une rupture ancienne entre lui et le rythme du réel, le refus qu’il exprima de continuer à subir l’emprise de la temporalité numérique sur les conduites humaines, la colonisation progressive et totale du temps de vie par les machines, la production de cette « accélération » instrumentalisant de plus en plus les pensées, les gestes, jusque dans la moindre intimité, posant les conditions environnementales d’une mutation de tous les organes vitaux. Ce qui l’avait poussé à s’exiler sur sa terrasse cévenole comme sur un ultime îlot préservé (illusion, évidemment). « Les artefacts technoscientifiques qui nous sont aujourd’hui présentés comme la vie et l’intelligence artificielle sont évalués en fonction de leur capacité à réagir dans la synchronie de l’instant. Or, plus les appareils technologiques interagissent dans un présent instantané, plus en réalité ils s’éloignent du vivant. Cette temporalité complexe, dont le temps linéaire n’est qu’une des dimensions, détermine un espace virtuel d’intimité avec soi-même au sein duquel se déploient les processus d’autoaffection du vivant. Les diverses tentatives pour coloniser cet espace d’intimité par les rythmes de l’horloge ont toujours des conséquences délétères. Ignorer les liens subtils entre les rythmes du vivant et les rites qui en sont l’expression symbolique, individuelle ou sociale, conduit inévitablement à cette promiscuité qui attaque et élimine cette intimité propre au vivant. Dans la dimension humaine, ce phénomène de promiscuité prend la forme de ce vécu angoissant d’une supposée « accélération du temps ». Cet énoncé n’est finalement pas autre chose que l’expression de la colonisation de l’intime par la promiscuité fonctionnelle :ce n’est donc pas le temps qui s’accélère, mais bien plutôt nos dimensions d’existence qui se réduisent. » (Benasayag, 140)
Où était son amie ? Était-elle sortie ? Avait-elle trouvé un passage secret ? Il la retrouva dans le cabinet de toilette. Penchée sur l’évier, elle se scrutait dans le miroir, tendue, sur la pointe des pieds. Elle apercevait dans le miroir devant elle son image vue de dos renvoyée par le miroir derrière elle. Un instant, il se souvint des chambres d’hôtel où ils se rejoignaient. Quand son regard rencontra le sien dans la glace, il sût qu’elle revoyait les mêmes scènes d’intimité. Il y eu une sorte d’arrêt. Tous deux fixant leurs reflets les regardant. Comment me voit-il ? Comment me voit-elle ? Si proche et contemplant comment ils s’échappent l’un à l’autre, pris sous l’effet d’un regard venu de nulle part, fait de la fusion de leurs yeux emmêlés, de leurs reflets fusionnés, atomisés par « ce regard qui révèle la suprématie inaltérable de l’absence sur la présence. » Suis-je ici, est-elle là ? Mise en abîme de leur désir, exacerbé dans leurs reflets, inatteignable. « Dès lors, qui regarde le regard devient un autre par rapport à nous, mais qui habite en nous. Nous dépendons de lui. Mais nous ne pouvons pas nous confondre avec lui, parce que, au moment où nous devenons cet autre, il se forme aussitôt un regard qui nous regarde devenir autre. Le processus peut recommencer, à l’infini. Ce qui nous gouverne pendant que nous regardons, c’est ce qui nous échappe pour toujours. Mais c’est aussi ce qui pour toujours nous accompagne. » (Calasso, p.466)
Pourquoi la luminosité du luxe – or, marbre, miroir – associée à la présence d’une grâce féminine confère-t-elle au lieu le statut d’un cadre imputrescible, alcôve où règne une éternelle jeunesse, où l’on échappe aux contingences du quotidien qui usent, altèrent et décomposent inexorablement ? Antichambre d’immortalité. Puis, à la manière d’un dérapage ou d’une attaque cérébrale fulgurante, tout alla très vite, à tel point qu’il n’eut jamais la certitude, par après, que cela eut lieu pour de bon, doutant être capable d’une telle rapidité transgressive. Était-ce d’anciens gestes familiers revenant le posséder ? Surtout ils n’en parlèrent jamais explicitement, cela fut englouti, selon les règles particulières de leur relation, pour que ça reste brut, entier, inexpliqué, inatteignable, protégé, là où ça s’était produit. Pour sentir que ce qui les rapproche est ce qui, fusant d’eux-mêmes, leur échappe pour toujours. Il avait toujours veiller à sauvegarder la part de mystère, parfois jusqu’à l’absurde, ne plus se reconnaître. Il repéra un objet incongru, pas du genre que l’on s’attendait à trouver là. Cylindrique, presque invisible, mimétiquement confondu avec la tablette de marbre. De même matière, de même apparence. Marbre poli, aussi fin et doux que la soie, révélant sa fine résille de veines gris bleu. Il aperçut l’objet caché – comme la lettre volée – probablement parce qu’un désir le lui faisait chercher là. Incapable de le nommer, la reconnaissance et l’action, vives comme l’éclair, furent simultanées. Il saisit l’objet comme un rapace fond sur sa proie, de l’autre main il remontait la mini-jupe et abaissait l’élégante culotte brodée. Il écarta les globes de chair nue – il enregistra avec une précision folle, fulgurante, les moindres différences par rapport aux fesses qu’il avait caressées il y a des années, apprécia leur plasticité mûrie, retrouvant aussi des odeurs, des résurgences de touchers – sa main armée de l’objet ressemblant à une toupie plongeant dans la raie et enfonça le bijou anal – marbré et surmonté de froufrous d’une rose vieil or, fronces florales sur fronces d’anus – directement dans son ogive chaude. Il fut surpris de la facilité et de la réceptivité immédiate, sans heurt. Ils étaient donc faits pour ça, assortis pour ces échanges et transmissions ? Dans le miroir, le visage de son amie était pétrifié, submergé d’une émotion trop forte, au début indéfinissable, peut-être douloureuse, contrariée, mais virant au rayonnement de bonheur complet. Le cou tendu, les épaules extatiques comme une femme ravie qu’on lui place un nouveau collier de prix. Déjà culotte et jupe étaient remises en place, personne n’avait rien vu, hormis une éventuelle caméra de surveillance. Il se tenait encore contre elle. Sa main chercha sur la tablette de marbre un autre objet similaire pour qu’elle puisse effectuer une réciprocité. En vain. Elle comprit la quête, sourit – dans le miroir – en direction de « ce regard qui révèle la suprématie inaltérable de l’absence sur la présence », lui fit comprendre que ce n’était pas indispensable, elle serait ornée pour deux. « Baptisé «bouton de rose», son bijou s’introduit dans l’intimité anale comme n’importe quel suppositoire… à une différence près : son extrémité dépasse et scintille dans la raie des fesses. Trublion pince-sans-rire, Julian Snelling se définit comme un «artiste d’anus», un créateur de haute joaillerie pour ne pas dire de joyeuserie. (Libération) Elle avait en son fondement un prélèvement de tout ce pays imaginaire, lointain, de ces contrées vierges dessinées dans les horizons veinés du marbre. A l’occasion de leurs retrouvailles, ils avaient évolué seuls dans le mausolée d’un salon royal et grâce au travail d’une artiste s’emparant de ce que racontent les matériaux, avaient caressé l’esquisse de nouveaux horizons où se propulser, renouant avec la sensation qu’il leur restait à se confronter à du vide, de l’inconnu, des voyages à faire. Ils quittèrent le salon. Il dut courir pour avoir son train, il n’en pouvait plus, il devenait urgent de filer vers sa cachette. Un dernier baiser, rapide, des signes de part et d’autre de la vitre, elle courut sur le quai quand le train s’ébranla, ravie de serrer dans son sphincter cet objet précieux placé par lui. Le lui signifiant. Il sombra, s’endormit. Il rêva. Il était blotti dans les entrailles de son amie, compacté, toupie pivotant lentement entre les parois chaudes, souples. Puis, elle était allongée et il adorait des deux mains les fesses de marbre reposant sur ses genoux, s’extasiant de leur malléabilité. Enfin, tout revenait à sa place, un monde parfait l’entourait, sa croupe redevenue le centre de sa galaxie. Il maniait le « bouton de rose » délicatement, se gardant de retirer cette bonde qui maintenait son imaginaire en place, en elle. Mais à présent agenouillée, elle extirpait doucement, lentement, le bijou anal et le portait à sa bouche. Alors, comme un voile ou plutôt une vague, jaillissait une vaste peau marbrée, diaphane, qui traversait les distances les séparant et venait le balayer de plus en plus profondément dans son sommeil ferroviaire, prenant les teintes peu à peu d’un cauchemar, en sortirait-il de ce sommeil marbré ?
Pierre Hemptinne