Les jeunes savent de moins en moins bien lire. Les jeunes passent de plus en plus de temps sur Internet. Conclusion facile ? Pas si sûr.
Si l’Europe progresse lentement mais régulièrement dans le taux de scolarisation de ses jeunes tant au niveau secondaire que supérieur, le taux de maîtrise de la lecture a empiré, selon l’étude de la Commission Européenne dans son rapport annuel sur les systèmes d’enseignement en Europe. Dans les faits, le taux est passé de 21,3 % en 2000 à 24,1 % en 2007. Disparité logique entre les pays : la Finlande (4.8%), l’Irlande (12.1%) et l’Estonie (13.6%) forment le podium des bons élèves en progression. Suivent les Pays-Bas et la Suède, bons mais stables. A l’opposé, la Roumanie ( 53.5% ) et la Bulgarie (51.1%) ferment la marche. Entre les deux, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Portugal présentent un taux en régression.
Dans la recherche d’une explication à cette baisse de niveau des jeunes Européens, Internet figure en tête de liste. Les jeunes passent de plus en plus de temps sur la Toile, donc ils ont forcément moins de temps pour lire. Après la diabolisation de la télévision vient la diabolisation d’Internet, avec une objectivité décuplée. Mais que font les jeunes sur Internet ? Quelle est la différence entre lire un article de presse, et lire un article de blog ? Internet représente un bouleversement, certes, mais est-il forcément néfaste ? Vous vous en doutez : j’en doute.
Une fois n’est pas coutume, parlons de moi. Je lis moins de bouquins. C’est un fait irréfutable. J’ai commencé à relire “L’Homme Sans Qualités” de Musil. Le tome 1 fait 800 pages, et j’ai eu du mal à le commencer, à “y rentrer” comme on dit. Problème que je n’avais pas eu il y a 2 ans (j’avais 17 ans) (y en a encore qui vont se demander si j’ai vraiment mon âge..) quand je l’ai lu pour la première fois (j’avais même lu le tome 2 de 1100 pages dans la foulée). Entre-temps, certes il y a eu les études supérieures, mais il y a aussi eu Internet. J’ai multiplié mes activités sur le web, lecture de blogs, forums, journaux online, webzines musicaux…
Le Net a-t-il modifié quelque chose à mon cerveau ? Est-ce que ma capacité de concentration sur longue distance s’est-elle amenuisée ? Les textes que je lis sur le Net font rarement plus de 2 pages web (2 écrans disent certains). Je ressens tout de même encore un “manque” à la fin des posts de notre site préféré, j’ai souvent l’impression de n’avoir pas lu assez, de n’avoir pas assez d’informations. Mais lire sur le web, c’est toujours de la lecture, non ?
Les tests de lecture qui accusent les Français de ne plus savoir lire (c’est un peu comme ça qu’on nous les a présentés dans les médias) mettent en scène, si j’ose dire, des jeunes Français, entre 12 et 15 ans, période où Internet est de plus en plus présent, et qui est l’endroit où ces jeunes lisent. La lecture, c’est pas comme le vélo. Si on n’a arrêté de lire de longs textes pendant 10 ans, il est difficile de s’y remettre. La lecture est quelque chose qu’il faut entretenir et en ce sens Internet est une mine d’or car il y en a pour tous les goûts.
Il est plus facile de commencer à lire avec des articles de weblogs (pas de skyblogs, s’entend) qu’avec Proust. La lecture sur le Net ne permet pas, certes, de s’habituer à lire de longs textes, à resté concentre (et éveillé) pendant 30 pages de Robert Musil, mais elle permet au “jeune” de développer d’autres qualités : le repérage des informations importantes, la capacité à faire des résumés (à force d’en lire!), l’appropriation du vocabulaire journalistique pour décrire précisément des évènements, des lieux… Toutes ses capacités sont très importantes pour le monde du travail ! On ne vous demandera pas de savoir faire des descriptions à la Dumas père !
Il est aussi plus facile de commencer à lire avec des textes écrits par vos semblables, j’entends par là des gens de votre âge. De nombreux sites (j’pense à lecahiernoir.net ou fanfiction.net aux Etats-Unis, que je suis depuis un bout de temps) permettent à chacun d’écrire des nouvelles, de tous types, de toutes qualités également (les fautes grammaticales ne sont pas rares) mais qui présentent un intérêt supplémentaire pour celui ou celle qui n’a pas l’habitude de lire ! Ce sont des gens comme eux qui ont une passion pour l’écriture et la lecture ! Même si ce n’est pas du Umberto Eco, cela reste de la lecture, même si la stimulation cognitive peut être différente que lors de la lecture d’un bouquin à la lumière d’une lampe à pétrole.
Comme quasiment tous les débats qui concernent le Net, on ne parle que ce qui est néfaste en passant outre ce qui est bien et ce qui pourrait être utilisé à bon escient. Mais il y a effectivement de nombreuses choses néfastes dans ce bouleversement qu’a constitué l’omniprésence d’Internet dans notre quotidien, et le Mal a un nom : Google.
J’y vais un peu fort.
La facilité d’accès à l’information recherchée ampute de plus en plus le temps de lecture. Où est le temps où il fallait chercher plusieurs minutes, assis à une table de la bibliothèque municipale, plongé dans un bouquin, pour trouver l’information recherchée ? La recherche, c’est de la lecture, c’est de la découverte d’informations qu’on avait pas prévu de trouver. Avec Google, on passe à côté des surprises, on arrive tout de suite à ce qu’on cherche, et quand on l’a trouvé, on passe à autre chose. L’information est digérée instantanément.
Google est devenu “le” réflexe. La réflexion personnelle n’existe plus, on passe à la réflexion personnelle “assistée”, “googeulisée”. Je fais allusion aux copier-coller, évidemment, mais aussi à notre faculté à réfléchir à un problème pour trouver la solution nous-mêmes, comme des grands. J’irais pas jusqu’à dire que trop d’informations tuent la réflexion, parce que les informations sont ce qui fait que l’on réfléchisse, mais avec Internet, et grâce à l’outil Google, on a l’impression qu’on peut y trouver toutes les solutions, toutes les opinions. Alors pourquoi perdre son temps à essayer de se former une opinion soi-même puisque des tas de types ont déjà perdu leur temps à former la leur et l’ont écrite sur leur blog de manière parfaitement objective évidemment.
Sauf que non, c’est rarement objectif. Difficile d’écrire un billet objectif quand il faut que ce billet ne dépasse pas 30 lignes-écran (Arial, 10pt) au risque de perdre 75% de votre lectorat.
En effet, avec Internet, c’est la capacité de lire des longs textes et a fortiori des livres, et ce qui explique sûrement les défaillances de beaucoup d’Européens (j’ai pas les chiffres des Américains) aux tests de lecture. Dites-moi si vous c’est différent, mais personnellement, l’habitude lire des textes courts (plus courts que celui-ci) a détérioré ma capacité de longue et constante concentration face à un texte. Et la manie des grands quotidiens à faire des articles de plus en plus petits n’est pas pour m’aider !
Pourtant même si je lis moins de longs textes, j’ai la sensation de n’avoir jamais appris autant de choses sur “le monde” pour parler trivialement, et d’être capable de tenir une conversation sur à peu près n’importe quel sujet. Mais j’ai peur que ces opinions ne soient que les répliques de celles que j’ai pu lire sur un des nombreux blogs que je lis et que je n’ai pas pu digérer et modeler à ma façon car j’ai été happé par un autre article, un autre blog, une chanson, une image rigolote, un post de Birenbaum, ce qui a avorté ma réflexion.
Internet me rend-il con, dans le sens où je ne sais plus réfléchir par moi-même ? Difficile de vous donner une réponse.. Toujours est-il que je pense qu’Internet est un lieu où la réflexion est très ardue. Contrairement à un bouquin, plein de détails, long, où l’on peut rentrer, où l’auteur nous donne des pistes pour comparer, critiquer, remettre en question…
Encore une fois, il existe des sites et blogs (qui font, je crois, partie de mes favoris) qui offrent ce type de réflexion, mais ne soyons pas dupes, ils sont rares et pas si fréquentés que ça.
Je suis dingue d’Internet, mais plus j’y réfléchis, plus Internet me fait peur.