Ce billet ne concerne pas seulement la contribution Urgence Sociale de la Nouvelle Gauche, mais je vais partir des deux autres propositions que j'avais retenues l'autre jour pour essayer de penser un peu plus loin l'attitude qu'une nouvelle politique de gauche pourrait avoir avec la mondialisation, la finance, l'Europe et ces autres grandes entités qui nous menacent jusque dans notre libre arbitre. Encore une fois, je ne veux pas "taper" sur la contribution, mais simplement réfléchir aux légèrs désaccords que j'ai avec elle. Vous allez voir, après je vais taper sur absolument tout le monde.
Voici donc les deux autres propositions-questions?
2. Etes-vous favorable à la négociation d'un véritable Traité de l'Europe sociale comprenant des critères de convergence sociaux aussi précis et contraignants que l'étaient les critères financiers du Traité de Maastricht ? Etes-vous d'accord pour que [...] le PS propose à l'ensemble des socialistes européens [...] de se réunir pour réfléchir au meilleur moyen de négocier très vite un vrai Traité social ?
3. Etes-vous d'accord pour que [...] le PS propose à l'ensemble des socialistes européens [...] de se réunir très vite pour réfléchir au meilleur moyen de donner à l'Europe des ressources propres en créant un impôt européen sur les bénéfices, une éco-taxe et/ou une Taxe Tobin ?
Quoi, contre l'Europe sociale? Contre la taxe Tobin?
Oui et non.
L'Europe sociale serait une bonne chose, mais, comme le "nouveau Bretton-Woods" et comme une "taxe Tobin", ce sont des batailles perdues d'avance. Il n'est pas impossible que cela vaille la peine de mener ces combats, car il n'est pas impossible que cette lutte modifie un peu les discours sociaux et économiques dominants en Europe. Peut-être que le socialisme européen pourrait avoir un peu moins honte d'être socialiste. Qui sait.
La démarche n'est pas pour autant évidente, puisque, d'abord, une bonne partie des pays européens est carrément hostile à tout progrès "social" européen. Ajoutez à ces réticences le fait que les déséquilibres économiques entre les pays rendent la notion même des seuils ou des minima parfaitement inextricable. Ensuite, pour ce qui concerne la guerre des idées et des esprits, les arguments des socialistes français envers les camarades européens seront sapés par le fait que la situation sociale en France est loin d'être assez exemplaire pour l'exporter à l'ensemble du continent.
C'est un peu dur à dire, mais, ici et maintenant, "l'Europe sociale" reste une façon de botter en touche. Même si elle était possible, elle ne pourrait se réaliser que dans vingt ou trente ans. L'injustice sociale a des belles années devant elle. A la rigueur, il semble plus réaliste de se poser d'abord la question, un peu à la Ségolène Royal, de ce qui pourrait être importé en France, genre "modèle danois ou suédois". Mais ce n'est pas là ce que je veux dire aujourd'hui. Enfin, si : le réalisme.
L'autre proposition, le numéro 3 ci-dessus, est en revanche plus intéressant, hormis la "taxe Tobin" qui reste, pour moi, une autre bataille perdue d'avance, pour les mêmes raisons que les "nouveaux Bretton-Woods" et les autres tentatives de refaire le monde, et vraiment la Terre entière, selon les idées de quelques pays. C'est trop tard : des industries entières financières ultra-puissantes existent et sont bâtis sur les subtilités des règles de la finance. Et il faut dire que la contrib ne développe pas beaucoup cette piste, pour se concentrer sur celle, plus plus prometteuse, d'un impôt européen sur les bénéfices. Voilà un domaine où l'intégration européenne pourrait servir à quelque chose, voilà un problème qui nécessite une réponse supra-nationale, voilà une solution qui n'est pas trop ambitieuse.
Si je fais l'éloge du réalisme politique et économique, ce n'est pas pour freiner la politique ou pour être pessimiste ou résigné à subir la seule loi du marché, mais pour éviter les fausses solutions qui, comme l'Europe sociale, bloquent la réflexion, empêchent d'avancer. Il va falloir faire avec certaines réalités qui échappent au contrôle d'un seul État ou même de l'Europe. En faire le préalable à toute action, c'est se condamner à l'inaction.
(Il faut chaud, je vais taper sur tout le monde la prochaine fois plutôt.)