La voie du Tantra n'est pas l'une de ces voie où l'on doit s'amputer dune partie de nous pour en gagner une autre. il n'est pâs question de sacrifier le corps pour l'âme, ou la raison pour l'intuition. Le Tantra nous invite à voir l'harmonie du Tout. Or, nous sommes un Tout, un Tout à l'intérieur du Tout. Un petit Tout, mais un Tout quand même. Or, un Tout ne s'ampute pas, s'il est bien un Tout. Un Tout intègre ses parties, comme les parties d'un instrument de musique. Il serait absurde d'arracher les cordes de ce violon, croyant en faire un meilleur instrument, capable d'une musique meilleure. Je peux remplacer les cordes, je peux les accorder au reste de l'instrument. Mais la beauté ne peut s'exprimer au prix du sacrifice définitif de l'une des parties. La beauté résulte de l'harmonie de toutes les parties, sans en exclure aucune.
Or, les parties du Tout que chacun de nous est, ce sont nos pouvoirs, nos shaktis, nos facultés. Voir, sentir, imaginer, penser, juger, se souvenir, oublier, choisir. Il n'est donc pas question d'en sélectionner une, ou d'en exclure certaines. Le Tantra indique huit voies vers le divin Tout : la vue, l'odorat, l'ouïe, le toucher, le goût, l'analyse, le choix et l'ego. Les huit parties correspondantes dans le cosmos sont la solidité, la cohérence, la lumière, la fluidité, la transparence, le soleil, la lune et l'âme cosmique.
Intégrer, accorder, réconcilier donc, et non pas sacrifier définitivement. Certes, des distinctions peuvent être nécessaires. mais elles sont provisoires. ce sont des étapes, des fins intermédiaires et non pas la fin ultime. En cours de route, je peux m'asseoir à l'ombre d'un arbre, dit Utpaladeva, afin de me reposer du soleil. mais ça n'est pas là le but et le terme de mon voyage. De même, je peux faire le vide, ou laisser le vide se faire en moi, ou plonger dans ce qui, en moi, est toujours vide et comme vierge des bruits du monde. Me reposer du siècle à l'abri du silence. mais cela n'est pas le but ultime. Le but ultime est l'harmonie en laquelle tout est intégré, comme tous les organes d'un être vivant en bonne santé.
Il ne s'agit pas de choisir une shakti au détriment des autres, car alors le Tout ne serait plus le Tout, mais une partie du Tout. Un fragment, si précieux fut-il. C'est au travers de la totalité de ces shaktis, de ces pouvoirs, de ces expériences, que je me réalise, au-delà de mon individualité et en l'intégrant.
Abhinava Gupta, dans sa Libre méditation sur le Tantra de la Déesse-Alphabet (Mâlinî-vijaya-vârttika), dit ceci :
"Il n'y a pas que l'omniscience absolue, car nous faisons aussi ces expériences [plus ou moins limitées] : 'je suis Pierre', 'je vois ce vase, non ce vêtement', 'mais tel autre le voit', 'je vais le voir, ou pas', 'je vois à la fois le vase et le vêtement', 'ce vêtement ne voit rien', 'j'ai vu ce vase, je ne le vois plus', 'je vois, peu à peu, partiellement, ou d'un seul coup', 'je vois tout', 'je ne suis pas quelque chose', 'je ne connais rien', 'je n'existe pas', 'je suis tout, rien n'est séparé de moi'... Car c'est une seule et même Conscience qui se manifeste ainsi et autrement." 70-74
Ce que décrit ici le maître, c'est l'odyssée de la conscience à travers mille expériences, qui sont ses mille shaktis, ses pouvoirs. Aucune expérience n'est exclue. Certes, il y a hiérarchie et ordre, car 'je suis tout' est une expérience plus complète que 'je suis ce vase'. Cependant, même les expériences limitées sont inclues dans la Conscience ; ce sont des aspects de l'unique expérience, de la réalisation totale.
Ainsi, il y a une harmonie de de Chemin du Tout (grâma). Tout est la Conscience, l'Être, en train de se réaliser, de s'explorer, de se perdre et de se retrouver, car telle est son jeu souverain, son absolue liberté.
C'est un mystère qui dépasse la raison. Et pourtant, la raison, cette lumière innée, y participe, selon sa mesure. Mes cinq sens y participent aussi. Tout cela est participation d'amour, bhakti. Tout cela est relation et unification, guerre et réconciliation, aspiration vers l'harmonie. Bien et Mal sont enveloppés dans ce Bien absolu, ultime, primordial et final. Chaque fragment participe selon sa manière propre à l'harmonie du Tout, rien n'y échappe, pas même le Diable diviseur.
Il n'est donc pas nécessaire de se châtrer pour accéder au royaume des cieux.