Manger l’autre

Publié le 19 octobre 2021 par Adtraviata

Présentation de l’éditeur :

Une adolescente, née obèse, vit recluse dans sa chambre. Le regard des autres et le harcèlement dont elle est victime ont eu raison de sa scolarité. Sa mère l’a abandonnée, incapable de faire face à son appétit monstrueux. Son père, convaincu qu’elle a dévoré sa sœur jumelle in utero, cuisine jour et nuit pour « ses filles ». Par le plus grand des hasards, elle rencontre l’amour. Mais la société du paraître et les réseaux sociaux ne sauraient tolérer un tel écart…

Fable rabelaisienne, Manger l’autre décrit sans pitié, mais non sans humour, la tyrannie de la minceur et le retour de la « mise à mort publique ». Un conte cannibale d’une sensualité bouleversante.

Après avoir lu un roman sur Francis Bacon, « le peintre de la chair », voici un roman où la chair de l’héroïne déborde de tous côtés, sa peau, ses plis, ses bourrelets, un corps énorme, hypertrophié, qui vaut à sa « propriétaire » horreur et abandon de sa mère, moqueries et quolibets de ses camarades de classe, adoration et déni de son père. La narratrice est née en pesant déjà dix kilos, sa mère n’a jamais su comment la prendre « à bras le corps » si je puis me permettre le jeu de mots et s’st enfuie, épouvantée, dévorée par ce bébé hors-normes. Le père accrédite la théorie que sa fille a mangé sa soeur jumelle dans le sein maternel et nourrit « ses filles » avec une dévotion épuisante, hors de tout bon sens. Un jour, elle a tellement grossi qu’elle ne peut plus quitter la maison et reste la plupart du temps couchée. Elle sa sait condamnée à mourir jeune, baleine, éléphanteau échoué dans son lit. Mais l’amour va s’inviter chez elle, malgré tout, et lui faire connaître le bonheur puis l’enfer, avant une fin… hallucinée.

Manger l’autre est un conte cruel sur le corps, l’image de soi, le regard des autres, la dictature du paraître, et interpelle notre société de consommation et ses excès (consommation de nourriture et d’images). C’est à la fois cruel et très sensuel, fort et provocant. Implacable. D’Ananda Devi, j’avais déjà apprécié Eve de ses décombres. Voici ici un texte très différent, que j’ai tout autant apprécié.

« Alcool, cigarette, bouffe, drogue, sexe, ce sont les excès qui nous excitent, qui nous passionnent. Sans eux, nous sommes de pâles effigies faisant semblant de vivre. Sans eux, nous passerions de la naissance à la mort comme des ombres qui n’auraient jamais connu le bonheur des délices interdits. Nous sommes la contradiction vivante de nos idéaux de sainteté et de santé. Nous ne sommes pas faits pour le jeûne ou l’abstinence, sauf comme forme de punition et d’autoflagellation. »

« Plus que le mal physique, je suis la représentation psychique de notre époque, j’en suis l’immoderé somatisé, la terreur et la spirale autodestructrice (oui, je ne crains pas une telle emphase, parce que la communication passe désormais par une amplification dénuée de sens, par un besoin d’outrance et de redondance — je suis dans l’air du temps, dans la même extension du vide). De nous, du monde dont je fais partie, ne reste que le plus délétère. Prisonniers de nos envies pléthoriques, nous nous sommes enfermés au point qu’il nous est devenu impossible de nous libérer sans éprouver une panique irrationnelle. Ne reste plus que l’assouvissement des envies du corps —gloutonnerie et pornographie, nos deux mamelles. »

« Mais comment effacer l’obésité de la présence humaine sur terre, celle qui engloutit et dévaste et ne cesse de s’épandre ? Pauvres oiseaux, papillons et éléphants ! Tous logés à la même enseigne. Ce qui n’était au départ qu’un élargissement mineur est devenu une expansion accélérée, effrénée, qui ne laissera bientôt plus le moindre espace aux autres espèces. »

Ananda DEVI, Manger l’autre, Zulma, 2021 (Grasset, 2018)

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Le Mois africain chez Jostein (une super initiative pour mettre à l’honneur les littératures africaines dans laquelle je me suis coulée au pied levé)