Yves Gosselin – L’exécution

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

On ne tue jamais pour moins que l’or
Je dis qu’on ne tue jamais pour moins

Et alors l’on tue !

Maintenant les sphères
Il me faut les crever
Comme on crève de mauvais abcès de fièvre
 
J’attends Dieu avec ma dernière arme
L’ennui
 
À Mézières
On n’a pas prévu d’exécution publique
C’aurait indisposé le préfet 
Je suis le plus jeune pensionnaire
Dans les annales judiciaires du département
Je laisserai des traces vrai

Avec le bourreau
Tout se passera dans les formes
Il y aura l’azur ce jour-là
Comme une lame inusable
Et sous l’offense la terre sous mes pieds
Ramollira un peu
Puis on me jettera dans une fosse commune
Selon mon vœu
Où les morts ne sont même plus dénombrés
Où de temps en temps on me jettera
Un os
Comme on fait avec les chiens aux abois
De l’Enfer véritable
Et cet endroit sera encore préférable
Au tombeau du poète
À sa solitude et à son silence
De faux carnassier
Avec ces misérables fleurs à mâcher
Avec ces fleurs
Qui implosent toujours sur les tombes !
 
Ni la petite prostituée de Sedan
Qui un jour m’a peut-être transmis
La syphilis et la folie
Ni Dieu ni Satan
Ni le procureur de la République française
Ni la chose jugée
Ni ceux de là-bas
Les maîtres du secret et de la vérité
Ni la patience de se perdre
Ni le hasard de se trouver
Ni les poisons lentement distillés
Par les plus grandes déraisons
Qui sont aussi parfois raisons
De se perdre enfin
Ni vous ni rien ni personne
Ne peut donner aujourd’hui la mesure
De mon âme
 
Je me moque de tous vos jugements
 
Ils viennent me chercher ce matin
 
HACHICHYYIN
 
Il n’y a plus que vous
Il n’y a plus que moi
 
Et cette incitation au meurtre
   Mézières , le 12 août 1871

***

Yves Gosselin (né en 1959 à Sherbrooke, Canada)La mort d’Arthur Rimbaud (Le Noroît, 2005)