Aucune culture n’en peut juger une autre sans prendre appui sur ses propres critères de développement, à partir desquels elle conclut à l’infériorité ou à la supériorité de l’autre culture qu’elle envisage. Si bien qu’aucun jugement ne semble objectif, car il dépend d’un choix de valeurs présélectionnées qui le déterminent.
Il en va de notre rapport aux autres cultures, disait Lévi-Strauss, comme du voyageur assis dans un train observant un autre train en marche. Selon le sens dans lequel ce dernier se déplace (en sens inverse ou non), la perception de sa vitesse ne sera pas la même pour le voyageur. S’il va dans le même sens, son allure semblera beaucoup plus réduite que s’il défile en sens inverse, quoique la vitesse soit la même. Or, chaque culture semble aussi solidaire de ses valeurs que le voyageur l’est de son train : il est inévitable que comme la vitesse perçue est relative à la position du voyageur, de même les jugements dépendent de positions culturelles irréductibles.
Il n’y a pas jusqu’à la tolérance qui ne soit une attitude culturellement déterminée, se fondant sur les valeurs d’un certain type de société, laquelle confesse par là son indicible supériorité. Mais faut-il pour autant s’interdire de juger ?Rappeler que tout jugement est relatif à un point de référence culturel variable ne pouvant constituer de norme absolue semble conduire à un relativisme culturel inévitable, car selon le point de référence adopté, technologie, spiritualité ou agriculture, les mêmes cultures paraîtront alternativement en retard ou très avancées, ce qui semble accréditer l’idée qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise culture – ce que refuse l’ethnographe. Car si l’ethnocentrisme (la croyance selon laquelle la culture à laquelle on appartient est supérieure aux autres) est une forme d’obscurantisme, il reste absurde de céder à une forme d’éclectisme qui nous interdirait de rien répudier.
La conclusion est la prudence et la pratique d’un peu d’ethnographie : apprendre à se détacher de sa culture, car c’est la seule dont nous ne soyons pas affranchis…