Le cri est unanime autour de moi : stop!
Où se sont envolées les assurances du "plus jamais comme avant" et les promesses de slow life ? Depuis ce qu’on appelle la rentrée, c’est partout la même frénésie d’appel à surconsommer. Chaque structure culturelle y va de ses propositions dans un bouquet qu’elle qualifie de foisonnant, sans imaginer un instant que sa voisine hurle la même chose.
Il est temps de sonner la cloche, qui se dit campana en espagnol. Et le Cirque Trottola le fait de manière magistrale avec leur spectacle, Campana, créé en avril 2018 dans le cadre de la programmation du Prato-Pôle national Cirque de Lille.Bien sûr, leur campanile a été brutalement contraint à l’arrêt pendant les confinements successifs, mais il se réveille de sa dormance sanitaire à l’instar des plus belles plantes, semant ses graines magiques qui explosent tout au long d’une heure trente frôlant la magie.Je croyais savoir à quoi m’attendre en prenant place sur les gradins de leur confortable chapiteau installé sur l’Espace cirque d’Antony (92). J’y avais déjà vu un spectacle de Titoune et Bonaventure Gacon. Je les avais découverts dans Matamore. Ils travaillent ensemble depuis plus de vingt ans. J’espérais que leur quatrième spectacle conjuguerait encore la poésie et la prouesse aussi harmonieusement.Je n’ai pas été déçue. J’ai été comblée. Je n’imaginais pas qu’ils puissent surprendre davantage comme ils l’ont fait ce soir. Rarement on a vu des portées aussi élégantes. Les tableaux s’enchaînent, fous et fascinants. Drôles souvent. Il y a des prouesses techniques, certes, et nombreuses. Mais elles sont au service d’un message d’humanité subtile qu’il est bon d’écouter et de vivre.Ils définissent ainsi leur travail : On tente, nous tous, en rond, avec l’acrobate, le clown, le salto, l’apesanteur, le danger, de tordre la réalité, de la repousser, de la braver pour qu’apparaisse, juste un instant, l’étincelle dans l’œil qui soudain devine l’incommensurable : le cirque.La qualité de cette transmission tient parfois à un cheveu, une façon de Titoune de tendre la main, la voix écorchée de Bonaventure s’interrogeant sur le Temps qui reste (magnifique chanson de Serge Reggiani sur les paroles de Jean-Loup Dabadie, Patrick et Alain Goraguer), le gobelet d’eau étanchant la soif d’un musicien alors que le clown blanc s’étouffe … l’évocation d’une poupée à musique tournant sur son socle, d’une cavalcade ou d’un éléphant dressant sa trompe dans un cri d’alerte muet, les acrobaties d’un singe bleu échappé peut-être du Jardin des délices de Jérome Bosch.Il y a du surréalisme dans la mise en scène. Et surtout des regards qui en disent très longs entre chaque membre de cet équipage qui résonne comme une famille. Voilà, voilà …Mais attention, ça grince fort aux entournures. Parce que la vie n’est pas tendre et que ce duo (qui forme souvent un quatuor avec les musiciens qui semblent se découvrir une vocation de saltimbanques) nous alerte sur des sujets qu’on va dire "sensibles" : la maltraitance animale, la fin de la vie, la déshumanisation progressive de nos univers où chacun pousse l’autre à débarrasser le plancher jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien… jusqu’à ce que dans les entrailles du chapiteau surgisse la superbe et monumentale cloche qu’ils vont apprivoiser sous nos yeux.L’objet est patrimonial. Il a été conçu spécialement dans une des deux dernières fonderies françaises, chez Cornille Havard, que j’avais eu le bonheur de visiter et l’honneur d’assister à une coulée. J’avais même été autorisée à filmer et malgré l’intense chaleur j’en ressens encore des frissons (malheureusement le fichier est trop lourd pour être téléchargé ici). Et pour voir cette cloche il faudra vous déplacer car j’ai respecté l’interdiction de la photographier.Campana appelle au rassemblement.Campana de et par Titoune, Bonaventure Gacon, Thomas Barrière et Bastien PelencDu mercredi 6 octobre au dimanche 17 octobre 2021
A L'Azimut - Espace Cirque Hauts-de-Seine
Avenue Georges Suant, 92160 Antony - Téléphone : 01 41 87 20 84La tournée du spectacle s’arrêtera notamment au #104, 5 rue Curial - 75019 Paris, du vendredi 14 janvier au 2 février 2022A partir de 10 ans