et Nul n’est sans chemin de croix
les croix jalonnent toute vie
pour moi ça a commencé tôt, à l’adolescence,
je me suis trouvé déposé, malgré moi,
sur le premier chemin de croix
le chemin de croix de la disgrâce et des femmes
plus tard en vint un second de notable
la conscience d’un défaut irréfragable
dont j’étais inconsolable
le génie qui me manque.
Bientôt viendra le troisième et l’ultime
chemin de croix,
l’affaissement progressif ou brutal du corps.
Chacun de ces chemins de tortures obsessionnelles
dure toute une vie
ils se cumulent
se surajoutent
ils accaparent
et ne se résolvent jamais
d’un miracle
d’efforts
même les plus fermes et les plus endurantes
volontés, échouent à
métamorphoser la croix et le chemin
ces chemins sont des forces inversées et négatives
des fatalités inexpugnables.
Le fatum instruit par la nature est incontournable
comme ne l’est pas un système politique
présidant aux destinées du monde et dont
les injustices qui influent collectivement
ajoutent et décuplent d’ailleurs les tragédies individuelles
des chemins de croix.
Dostoievski estimait que la vie était
environnée d’un mystère
opaque et cosmique
qu’aucune science ne pourrait jamais expliquer.
Il était en quelque sorte habité d’une foi « positive »
que je ne partage pas.
Un mystère sans aucun doute, mais
d’une nature
sadique
Dostoievski était un génie
je n’en suis pas un,
avec tout ce que suppose d’agréments
et de satisfactions, le génie.
Il détenait une vérité qui
ne peut pas être la mienne
comme de quantité de ceux qui manquent
de génie
de beauté
de grâces
toute vérité est relative
à la qualité de celui qui la profère
relative aux dons dont la nature l’a pourvu
relative à l’époque qui a facilité l’éclosion et
la reconnaissance de son génie
relative à ce que nous ne sommes que
des atomes et des figures fractales qui
reproduisent indéfiniment leur déterminisme
toute vérité est relative parce que
tout mon génie est de manquer de génie
Je sais comme l’homme du sous sol (de Dostoïeski) que
« toute conscience est une maladie »
et je tire imperturbablement
sur un Ramon Allones, un bon Havane
muet
à la terrasse des cafés
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