Il y a des principes à retenir, comme celui du jardin qui bouge. L’homme a peur du burnou, c’est le mot qu’il emploie (burn-out) qu’il attribue au fait qu’on ne vit pas à son propre rythme. Il en a fait son principe de vie et il l'applique à son travail de jardinier.Il raconte (p. 57) son sursaut politique lorsqu’il vote pour la première fois pour René Dumont. Ce qui lui a permis de vivre c’est la polyactivité : les jardins, l’enseignement et l’écriture. Et puis la pratique de ce qu’il appelle l’économie de la non-dépense, n’achetant pas ce dont il ne se servira pas. Interrogé sur les lectures qui l’ont marqué, il cite le Petit Prince de Saint-Exupéry. Et surtout les Souvenirs entomologiques de Fabre, s’extasiant à juste titre sur l’abnégation du bousier roulant des boules dans lesquelles les femelles pondront. Cet insecte qu’on écrase sans y prendre garde est en voie de disparition à cause des antibiotiques qu’on injecte dans les animaux d’élevage.Gilles Clément ne craint pas de dire des vérités qui ne sont pas consensuelles chez nos élites. Il pense particulièrement (p. 16) aux exploitants en agriculture conventionnelle. On leur dit ce qu’ils doivent cultiver, ou élever, faute de quoi on les menace de ne pas leur verser les primes qui leur permettront (peut-être) de rembourser les crédits. Il ajoute qu’en aucun cas un enfant ne doit accepter d’être ainsi transformé d’humain en robot. Il faut leur apprendre à réfléchir au sens de ce qu’ils font.Il exprime d'autres inquiétudes (p. 66) : j’ai peur que l’on s’achemine vers une privatisation généralisée et une sponsorisation par Engie ou EDF etc. sur les transitions énergétiques, écologiques et sur le paysage. Et là on ne pourra plus rien dire. Ce seront les lobbys qui dirigeront. Je crains que les écoles soient bientôt concernées elles aussi. Il n’y a pas de formation sur le vivant adaptée aux questions d’urgence biologique dans les établissements qui devraient en principe traiter ces sujetsQuelles sont en effet les écoles qui ont repris son principe de Jardin en mouvement, un concept qui relève pourtant aujourd'hui de l'évidence ? Un lycée agricole (un seul ?)s’est saisit de cette idée, et vingt ans après. Il réfute le qualificatif de paysagiste, car celui-ci n’est pas obligé de travailler avec le vivant, préférant le terme plus modeste de jardinier. Pour simplifier, on dira que le paysage est alors le résultat, pas forcément imposé par l’homme qui est au service de la nature.Il a formalisé ce principe sous le nom de Jardin en mouvement. C’est un jardinage sur le terrain, empirique. La position de départ vient du désir de protéger la diversité vivante, surtout animale, entomologique. Comment je fais pour garder les papillons et les insectes alors qu’on m’a appris à les tuer ?Si l’on veut théoriser, c’est l’idée que l’on fait avec et pas contre, et que l’on dépense très peu d’énergie contraire. Il s’agit de préserver les espèces autant que possible, dans leur diversité, y compris celles représentées par une série de plantes à cycles courts, qui meurent après avoir fait leurs graines. Ces graines se ressèment, mais jamais au même endroit. Donc, les plantes se déplacent sur le terrain et il faut respecter cette dynamique (p. 76) quitte à modifier le tracé d’une allée si celle-ci est soudainement "envahie".Dans son jardin potager personnel il est passé progressivement en permaculture, mais pas partout. En tout cas il bannit les engrais solubles que l’on utilise d’habitude et et qui ne sont pas vraiment utiles aux plantes. Elles n’en absorbent qu’un tout petit peu et tout le reste s’en va dans les ruisseaux provoquant ensuite la destruction des milieux et profitant aux plantes gourmandes d'engrais, invasives et non souhaitées. Il alerte aussi sur des choses toutes simples comme ce que contiennent les nuages qui lorsqu’il pleut déversent autant d’eau que des particules empoisonnées.Il tient aussi à rétablir la vérité à propos du concours du parc André Citroën dans le 15e arrondissement de Paris (ouvert au public en 1992) puisqu’ils ont été deux architectes et deux paysagiste à être au final sélectionnés même si on lui en a attribué souvent la seule paternité. Aujourd’hui il n’y a plus de budget alloué à l’entretien du parc, qui coûte trop cher, et surtout la fontainerie. C’était financièrement possible, ça ne l’est plus. C’est là que pour la première fois il a aidé les jardiniers qui ne connaissaient pas ce principe de gestion du Jardin en mouvement et qui ne savaient pas comment s’y prendre.Il compare très finement (p. 94) le mécanisme darwinien qui est bref et sélectif et le processus lamarckien qui est long et transformateur. Le succès du modèle darwinien vient de ce qu’il coïncide avec la vision de l’économie qui dicte ses règles or ce qui est intéressant à comprendre c’est que rien n’est jamais fichu (c’est le mot qu’il emploie), car il n’y a pas de destin génétique pour toute la vie et c’est très important de le dire : tu es comme tu es, mais si cela ne te convient pas, tu peux changer comme tu penses qu’il faut changer. Et il donne l’exemple des plantes du feu qui ont qui ont été sélectionnées pour le supporter et qui maintenant ont besoin de lui pour vivre car les levées de dormance de leurs graines nécessite un choc thermique. (p. 96)Ce petit livre est très intéressant et pousse l'adulte que nous sommes à réfléchir. Mais si on le place dans cette collection conçue par les éditions du Seuil pour aider les adolescents à choisir leur voie les propos de Gilles Clément sont peut-être un peu trop empreints de regrets (mais on comprend qu'il en soit ainsi). Espérons que ses arguments, qui sont implacables, suscite des vocations. Car il a raison. Il devient urgent de changer de modèle économique et, pour être efficace, cela ne peut se faire qu’à une échelle mondiale (p. 74).En tant que parent on retiendra le conseil, même s'il n'est pas nouveau, d'éloigner les esprits, surtout ceux des enfants, de la fascination des écrans qui les monopolisent, mais qui ne sollicitent ni leur réflexion, ni leur intelligence, ni leur curiosité (p. 124). Et pour terminer sur une note positive on se rassurera que chaque enfant se développe à son rythme.Je chemine avec Gilles Clément, Entretiens menés par Sophie Lhuillier, au Seuil, en librairie depuis le 12 mars 2021
Il y a des principes à retenir, comme celui du jardin qui bouge. L’homme a peur du burnou, c’est le mot qu’il emploie (burn-out) qu’il attribue au fait qu’on ne vit pas à son propre rythme. Il en a fait son principe de vie et il l'applique à son travail de jardinier.Il raconte (p. 57) son sursaut politique lorsqu’il vote pour la première fois pour René Dumont. Ce qui lui a permis de vivre c’est la polyactivité : les jardins, l’enseignement et l’écriture. Et puis la pratique de ce qu’il appelle l’économie de la non-dépense, n’achetant pas ce dont il ne se servira pas. Interrogé sur les lectures qui l’ont marqué, il cite le Petit Prince de Saint-Exupéry. Et surtout les Souvenirs entomologiques de Fabre, s’extasiant à juste titre sur l’abnégation du bousier roulant des boules dans lesquelles les femelles pondront. Cet insecte qu’on écrase sans y prendre garde est en voie de disparition à cause des antibiotiques qu’on injecte dans les animaux d’élevage.Gilles Clément ne craint pas de dire des vérités qui ne sont pas consensuelles chez nos élites. Il pense particulièrement (p. 16) aux exploitants en agriculture conventionnelle. On leur dit ce qu’ils doivent cultiver, ou élever, faute de quoi on les menace de ne pas leur verser les primes qui leur permettront (peut-être) de rembourser les crédits. Il ajoute qu’en aucun cas un enfant ne doit accepter d’être ainsi transformé d’humain en robot. Il faut leur apprendre à réfléchir au sens de ce qu’ils font.Il exprime d'autres inquiétudes (p. 66) : j’ai peur que l’on s’achemine vers une privatisation généralisée et une sponsorisation par Engie ou EDF etc. sur les transitions énergétiques, écologiques et sur le paysage. Et là on ne pourra plus rien dire. Ce seront les lobbys qui dirigeront. Je crains que les écoles soient bientôt concernées elles aussi. Il n’y a pas de formation sur le vivant adaptée aux questions d’urgence biologique dans les établissements qui devraient en principe traiter ces sujetsQuelles sont en effet les écoles qui ont repris son principe de Jardin en mouvement, un concept qui relève pourtant aujourd'hui de l'évidence ? Un lycée agricole (un seul ?)s’est saisit de cette idée, et vingt ans après. Il réfute le qualificatif de paysagiste, car celui-ci n’est pas obligé de travailler avec le vivant, préférant le terme plus modeste de jardinier. Pour simplifier, on dira que le paysage est alors le résultat, pas forcément imposé par l’homme qui est au service de la nature.Il a formalisé ce principe sous le nom de Jardin en mouvement. C’est un jardinage sur le terrain, empirique. La position de départ vient du désir de protéger la diversité vivante, surtout animale, entomologique. Comment je fais pour garder les papillons et les insectes alors qu’on m’a appris à les tuer ?Si l’on veut théoriser, c’est l’idée que l’on fait avec et pas contre, et que l’on dépense très peu d’énergie contraire. Il s’agit de préserver les espèces autant que possible, dans leur diversité, y compris celles représentées par une série de plantes à cycles courts, qui meurent après avoir fait leurs graines. Ces graines se ressèment, mais jamais au même endroit. Donc, les plantes se déplacent sur le terrain et il faut respecter cette dynamique (p. 76) quitte à modifier le tracé d’une allée si celle-ci est soudainement "envahie".Dans son jardin potager personnel il est passé progressivement en permaculture, mais pas partout. En tout cas il bannit les engrais solubles que l’on utilise d’habitude et et qui ne sont pas vraiment utiles aux plantes. Elles n’en absorbent qu’un tout petit peu et tout le reste s’en va dans les ruisseaux provoquant ensuite la destruction des milieux et profitant aux plantes gourmandes d'engrais, invasives et non souhaitées. Il alerte aussi sur des choses toutes simples comme ce que contiennent les nuages qui lorsqu’il pleut déversent autant d’eau que des particules empoisonnées.Il tient aussi à rétablir la vérité à propos du concours du parc André Citroën dans le 15e arrondissement de Paris (ouvert au public en 1992) puisqu’ils ont été deux architectes et deux paysagiste à être au final sélectionnés même si on lui en a attribué souvent la seule paternité. Aujourd’hui il n’y a plus de budget alloué à l’entretien du parc, qui coûte trop cher, et surtout la fontainerie. C’était financièrement possible, ça ne l’est plus. C’est là que pour la première fois il a aidé les jardiniers qui ne connaissaient pas ce principe de gestion du Jardin en mouvement et qui ne savaient pas comment s’y prendre.Il compare très finement (p. 94) le mécanisme darwinien qui est bref et sélectif et le processus lamarckien qui est long et transformateur. Le succès du modèle darwinien vient de ce qu’il coïncide avec la vision de l’économie qui dicte ses règles or ce qui est intéressant à comprendre c’est que rien n’est jamais fichu (c’est le mot qu’il emploie), car il n’y a pas de destin génétique pour toute la vie et c’est très important de le dire : tu es comme tu es, mais si cela ne te convient pas, tu peux changer comme tu penses qu’il faut changer. Et il donne l’exemple des plantes du feu qui ont qui ont été sélectionnées pour le supporter et qui maintenant ont besoin de lui pour vivre car les levées de dormance de leurs graines nécessite un choc thermique. (p. 96)Ce petit livre est très intéressant et pousse l'adulte que nous sommes à réfléchir. Mais si on le place dans cette collection conçue par les éditions du Seuil pour aider les adolescents à choisir leur voie les propos de Gilles Clément sont peut-être un peu trop empreints de regrets (mais on comprend qu'il en soit ainsi). Espérons que ses arguments, qui sont implacables, suscite des vocations. Car il a raison. Il devient urgent de changer de modèle économique et, pour être efficace, cela ne peut se faire qu’à une échelle mondiale (p. 74).En tant que parent on retiendra le conseil, même s'il n'est pas nouveau, d'éloigner les esprits, surtout ceux des enfants, de la fascination des écrans qui les monopolisent, mais qui ne sollicitent ni leur réflexion, ni leur intelligence, ni leur curiosité (p. 124). Et pour terminer sur une note positive on se rassurera que chaque enfant se développe à son rythme.Je chemine avec Gilles Clément, Entretiens menés par Sophie Lhuillier, au Seuil, en librairie depuis le 12 mars 2021