Si la guerre froide offrait quelques facilités pour imposer à l’opinion publique l’assimilation entre démocratie et capitalisme, celle-ci se retrouve aujourd’hui sans stratégie de communication… La théorie de base, elle, n’a pas vraiment changé, mais elle ne s’adresse pas à la masse, plutôt à une population un peu plus éduquée, un peu plus privilégiée et donc un peu plus conciliante… Celle-ci affirme tout bêtement que le capitalisme est d’essence démocratique, puisqu’il s’appuit sur la liberté individuel et la protection des propriétés privés : la déréglementation de l’économie « libère les énergies » en permettant à tous d’entreprendre, d’acheter et de vendre, de se concurrencer et d’être le meilleur… Le corollaire logique, mais plus occulté par la théorie, est que les moins bons, ou plutôt ceux pour qui le marché aura attribué une utilité marchande que dans le cas d’une exploitation salariale, devront se satisfaire de leur position, et cela au nom de la réussite de leurs exploitant…
Qui croit encore que le capitalisme, je veux dire une société basée sur la rentabilisation des capitaux et donc sur l’enrichissement de leurs détenteurs, puisse se concilier avec les principes démocratiques les plus élémentaires ? Qui soutient encore l’idée selon laquelle le développement de l’économie marchande participe à la progression de la démocratisation des pouvoirs en occident et dans le monde ? Les seuls qui défendent toujours cette théories sont ceux qui définissent la démocratie justement comme une économie de marché, et ainsi leurs raisonnement prend une forme tautologique, débouchant souvent sur une légitimation plus ou moins timide des pratiques autoritaires au nom de la défense de la liberté des PDG, investisseurs et autres propriétaires de nos conditions de vie…
L’argent corrompt – par définition. Et ces traders ont raisons de se conforter en affirmant que tout le monde veut du fric, et que c’est pour cela qu’ils peuvent s’en faire – qu’ils ne sont donc pas plus responsables qu’un autre, que tout autre… C’est bien sur oublier les milliards de victimes qui ne participent que de manière forcée à notre économie de marché, cela sans jamais vraiment espérer devenir un consommateur gavé a l’occidental, mais simplement pour bouffer… Mais ils n’ont peut être pas tord de nous accuser, tous ceux d’entre nous qui vivons a fond la société de consommation, tous ceux qui envisagent les perspectives de leurs carrières en fonction du salaire qu’ils convoitent, afin de pouvoir obtenir les luxes dont le désir soutient leurs existences et leurs ambitions.
En cela, la société marchande, l’économie de marché, sont peut être effectivement en un certain sens démocratique… La société de consommation ne pourrait pas perdurer sans consommateur… Mais de la même manière, toute société qui appuit sa légitimité et sa vision du progrès sur un point précis, ne peut perdurer si elle ne fait de ses sujets les sujets adéquats à son fantasme : il n’y a pas de société patriotique sans patriotes, pas de stalinisme sans staliniens ni de nazisme sans nazis ; pas de démocratie sans hommes libres ; pas de capitalisme sans patrons, actionnaires, salariés, chômeurs et armées déguisés en polices… Ainsi, chaque régime dresse ses sujets à devenir ce qu’ils doivent être pour que le régime continu de fonctionner. Seul ce qu’on appelle vulgairement la démocratie n’est pas censé ni manipuler ni contraindre ses citoyens, mais simplement mettre en place ce que la majorité citoyenne aura décidé librement et volontairement.
Et un régime marchand, dont la dynamique repose essentiellement sur l’exploitation d’une part progressivement englobante de l’humanité et de la planète, l’émergence de processus démocratiques n’apparaît probable qu’au travers différentes formes de luttes radicales – je veux dire qui s’oppose à la logique de la marchandisation de manière tout aussi globale que ne l’est la dépossession qu’elle engendre nécessairement.
Car la marchandisation est aussi privatisation du droit : droit à la santé cruellement monnayé, accès à la nourriture, au logement, à l’eau, à l’information, aux savoirs…