Titre original : Björnkvinnan
Traduit du suédois par Marina Heide
Buchet-Chastel
L’histoire de Marguerite de la Rocque est méconnue : au XVIe siècle, cette femme survécu plusieurs années sur une île perdue au large de Terre-Neuve avant d’être secourue et de parvenir à rentrer en France. Son aventure n’est relatée que dans de rares sources, notamment dans l’Heptaméron de la reine Marguerite de Navarre – qui était également la sœur de François Ier.
La figure évanescente et mystérieuse de cette femme, dont la vie demeure pleine de données inconnues, a fasciné Karolina Ramqvist qui s’est retrouvée littéralement hantée par cette histoire. La femme ourse relate sa recherche et ses tentatives pour mieux cerner non seulement l’histoire de Marguerite de la Rocque, mais aussi l’époque dans laquelle elle évoluait.
Si le sujet est sans aucun doute extrêmement intéressant, il convient d’en préciser tout de suite le contexte : ne vous attendez pas à lire une fiction historique à proprement parler. Il ne s’agit pas d’une alternance entre deux époques où l’on suivrait dans l’une la vie de l’autrice-narratrice et dans l’autre la vie de Marguerite de la Rocque. Aborder ce roman, dont le style correspondrait davantage à une non-fiction romancée (genre totalement à part qui mêle tour à tour le journalisme, le roman et les sciences sociales, et dont le terme anglais est narrative non-fiction) en imaginant que l’on va lire un roman historique au sens le plus convenu du terme, c’est courir au devant d’une cruelle déception.
Bien que La femme-ourse soit le premier ouvrage de Karolina Ramqkvist traduit en français, l’autrice est connue en Suède pour ses textes féministes.
On retrouve ici une mise en abîme de la vie de la naufragée du XVIe siècle par le prisme d’une narratrice aux prises avec une maternité qui menace de la submerger.
Par le biais de sa recherche, c’est aussi toute une interrogation plus générale sur la vie des femmes, la place minimum qui leurs est généralement dévolue et leur effacement, leur assujetissement, plus ou moins directement, aux hommes. Cette mise en abîme et l’enquête aussi balbutiante -et pour cause- que précise dessinent les contours de cette obsession que l’on voit naître presque sous nos yeux, et nous accompagnons la narratrice dans ses recherches, depuis son domicile suédois jusqu’à une bibliothèque new-yorkaise en passant par le château de la Rocque dans l’Oise. Minutieusement, presque sans y toucher, cette procédure de recherche vient questionner et enraciner le passé dans le présent, par le truchement de la voix principale.
La fin du roman laisse une place plus prégnante à Marguerite de la Rocque et propose une reconstruction hypothétique de ce qui s’est, peut-être, passé sur l’Île des Démons, avant de nous ré-ancrer dans le présent. Cette partie est écrite dans un style extrêmement limpide et prenant qui fait presque regretter de ne pas avoir un autre texte additionnel uniquement centrée sur la dite Marguerite.
Un texte atypique qui donne sans aucun doute envie d’en savoir davantage sur cette époque et plus particulièrement sur la figure de l’héroïne, à lire et à considérer comme un essai teinté d’études de genre et comme un préambule à d’autres lectures, comme la nouvelle de Marguerite de Navarre dont il est tant question au fil des pages.
Merci à Buchet-Chastel et à Netgalley