«J’ai vu le mal le plus absolu.» Les propos sans ambiguïté de Jean-Marc Sauvé, ancien grand serviteur de l’État et responsable de la Commission indépendante sur la pédocriminalité dans l’Église catholique, résonnent comme un coup de tonnerre. Quant aux conclusions du rapport de 2 500 pages, fruit d’un travail lancé en 2018, elles constituent un choc pour toute la société française. Le nombre de mineurs victimes de prêtres, diacres et religieux depuis 1950 s’élève à 216.000. Un «phénomène massif» qui présente donc un «caractère systémique».
Un crime accablant, dont l’ampleur ne nous surprend pas puisqu’il fut couvert pendant des décennies par le silence et l’inaction de toute la hiérarchie catholique. D’autant qu’il convient d’ajouter les personnes agressées par des laïcs travaillant dans des institutions de l’Église (enseignants, surveillants, cadres de mouvements de jeunesse, etc.): la macabre statistique grimpe dès lors à 330.000, un chiffre probablement en deçà de la réalité. Combien d’autres, pour jamais oubliées de l’Histoire? Combien de familles brisées pour toujours?
L’épiscopat, par la voix du président de la Conférence des évêques de France, Éric de Moulins-Beaufort, exprime «sa honte», «son effroi» et demande «pardon» aux victimes. Il était temps. Mais ce pardon ne suffira pas à dépasser l’insupportable vérité, qui dépeint la responsabilité collective d’une tragédie.
«N’allez pas croire que je suis venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive.» L’Église ferait bien de s’inspirer des paroles de son Christ. Les mots ne suffisent plus, désormais, encore moins une quelconque repentance confessionnelle. Car le problème n’est pas l’Église, mais les victimes détruites à vie. Aller jusqu’au fond de la plaie, la désinfecter réclame courage et lucidité, réparations et décisions fortes. Plus rien ne sera comme avant et le rapport Sauvé marque un tournant radical. Nous n’emballons pas certaines horreurs dans du papier de soie. En 2018, convoqué au Vatican, l’épiscopat chilien avait démissionné en bloc. S’il n’était pas suivi d’effets, ce rapport terrifiant serait une trahison des victimes. L’omerta est définitivement morte. Mais du célibat aux carcans d’un autre âge, l’aggiornamento de l’Église doit suivre.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 6 octobre 2021.]