Le livre regroupe en cinq chapitres des articles ayant été publiés pour la plupart dans La Quinzaine Littéraire et dans En attendant Nadeau. Ils sont distribués en « Portraits », « Personnage et personne », « Études », « Digressions » et « En guise de conclusion : cet étrange objet du désir ». Le tout est précédé d’une préface intitulée « Je suis un chiffonnier » dans laquelle Marie Étienne explicite sa posture. Il s’agit pour elle d’« observer le monde depuis [son] lieu d’habitation » afin de « converser avec ». Elle s’apparente à un « chiffonnier » qui, dans ces catégories mal aimées et souvent attaquées que sont la poésie ou la prose non romanesque, va « harponn[er] des merveilles » qui pourraient rester « lettres mortes ». Il s’agit de retrouver, réveiller, dépoussiérer, mettre sur le devant de la scène critique ce « milieu doré » (Hölderlin) « où règne l’ordre et l’apaisé ». Marie Étienne nous conduit ainsi vers une qualité de lumière qui éclaire des « mots dénudés », des mots « justes » et ce à leur « exacte place » : cette lumière s’appelle, le plus souvent, poésie. Mais cette lumière, c’est aussi celle du geste critique par lequel la lectrice restitue avec grâce et tact un parcours de lecture qui est lui-même invitation au voyage.
Se dessine alors, au fil des articles critiques, un autoportrait au miroir et en miroir de Marie Étienne elle-même. Et pas seulement parce qu’elle parle beaucoup de femmes écrivains (Anne-Marie Albiach, Ingeborg Bachmann, Martine Broda, Danielle Collobert, Fabienne Courtade, Elfriede Jelinek, Vénus Khoury-Ghata, Denise Klossowski, Louise Labé, Nathalie Léger, Clarice Lispector, Joyce Mansour, Claire Paulhan, Marie-Claire Bancquart, Hélène Cixous, Florence Delay, Catherine Pozzi, Tiphaine Samoyault, Marina Tsvetaeva), même si ce point est notable, et réjouissant ! S’autorisant souvent le « je », Marie Étienne s’adresse, véritablement, au livre et à l’écrivain qu’elle lit. Et ce « je », pour toucher le « tu », doit, paradoxalement, se dévoiler, chercher en lui ce que ce « tu » interroge, bouleverse, inquiète ou révèle. Or ce « tu » est lui-même mouvant : il est le livre et l’auteur du livre, mais aussi, par un processus magique, le lecteur qui, grâce à Marie Étienne, rentre dans cette relation étrange qu’on appelle critique. « Chercher le livre », « Trouver le livre » sont les deux courts textes publiés initialement dans la revue Argos qui ferment L’Inaccessible est toujours bleu. Ils ont pour point commun la figure de Nerval, auteur d’une série de phrases merveilleuses dont Marie Étienne a cherché des années durant l’origine : « Avec le temps, la passion des grands voyages s’éteint, à moins qu’on ait voyagé assez longtemps pour devenir étranger à sa patrie. Le cercle se rétrécit de plus en plus, se rapprochant peu à peu du foyer. Ne pouvant m’éloigner beaucoup cet automne, j’avais formé le projet d’un simple voyage à Meaux. Il faut dire que j’avais déjà vu Pontoise. »
Ce texte nervalien, comme échappé du Livre, flotte dans cet espace littéraire « inaccessible » au sein duquel nous naissons avant notre naissance comme nous mourons après notre mort. Espace littéraire in-fini, non fini, que chacune de nos lectures, parfois prolongée en texte, déploie et configure, tel un miroir convexe.
Anne Malaprade
Marie Étienne, L’Inaccessible est toujours bleu, Hermann, collection Vertige de la langue, 2021, 302 p., 26€