J’Hey oublié le titre

Publié le 01 octobre 2021 par Morduedetheatre @_MDT_

Critique de On n’est pas là pour disparaître, d’après le roman d’Olivia Rosenthal, vu le 20 septembre 2021 au Théâtre 14
Avec Yuming Hey, mise en scène et adaptation de Mathieu Touzé

Ça fait longtemps que j’entends parler du travail de metteur en scène de Mathieu Touzé sans avoir encore eu l’occasion de le découvrir. En entendant parler du spectacle d’ouverture de la nouvelle saison du Théâtre 14, le titre m’a induite en erreur et j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un texte écrit pendant le confinement et revenant sur le caractère essentiel de l’art – j’étais clairement prête à passer mon chemin. Mais lorsque j’ai appris mon erreur, j’ai été davantage intriguée – la disparition qu’il évoque, c’est celle du malade atteint de la maladie d’Alzheimer.

Tout part d’un fait divers : monsieur T, atteint de la maladie de A, poignard sa femme un jour de juillet 2004. Le spectacle, adapté du roman d’Olivia Rosenthal – que je n’ai pas lu – utilise la narration polyphonique pour s’approcher au plus près de cette maladie : on entendra ainsi les voix de Monsieur T., de sa femme, du corps médical, ou encore une narration extérieure qu’on imagine être celle de l’autrice.

J’ai eu peur au début du spectacle. J’ai eu peur que l’idée de l’adaptation ne soit pas bonne, car le spectacle s’ouvre avec une projection de près de dix minutes qui défile rapidement sur l’écran qui occupe toute la largeur de la scène, projection explicative qui expose les faits et met en place la situation. J’ai eu peur car si l’écran est vraiment nécessaire, c’est que se pose la question de la théatralité du texte et de son intérêt à le transposer sur scène.

© Christophe Raynaud de Lage

Or Yuming Hey nous démontre que l’intérêt existe et nous fait rapidement oublier ces premiers doutes. Face public, les deux pieds bien ancrés dans le sol, il ne bougera pas d’un pouce. A partir du moment où il prend la parole, il se passe indéniablement quelque chose. D’abord ses premiers chuchotements, qui évoquent sans conteste les paroles solitaires des fous, nous plongent directement dans l’abime et donnent le ton de la performance à laquelle il se livre durant l’heure à venir. On ne pouvait mieux donner corps au mot polyphonie. Il ne laisse de place à aucune échappatoire, joue beaucoup sur les changements de rythme et malgré une cadence déjà très poussée, parvient à accentuer la pression jusqu’à l’événement final qu’on connaît.

Pour augmenter son effet, il est accompagné par une création sonore qui fonctionne bien, s’autorisant de grandes variations entre le boum boum rapide style film d’action, la tonalité plus légère qui évoque une telenovela et l’indescriptible musique d’ambiance avec brusque descente de gamme sur un violoncelle, évocation réussie de la brisure et de l’incompréhension. Je reste plus circonspecte sur la création visuelle qui m’a laissée de côté au début du spectacle et me laissera à nouveau de côté à plusieurs reprises, notamment avec les images évoquant le cerveau et les neurones de notre patient qui, si elles sont plus démonstratives, sont pourtant moins efficaces que notre comédien en scène.

Yuming Hey captive en performant l’insidieuse progression de la maladie d’Alzheimer jusqu’à une certaine forme de révolution. Traumatisés récents s’abstenir.

© Christophe Raynaud de Lage