120° jour
16h35, plan de route méca, salle Musset.
Opération sardines en boîte : la dernière salle disponible dégottée in extremis par notre chef de projet ressemblait à un ancien placard à balais reconverti. A peine suffisante pour y ranger un seau et une serpillière, la pièce minimaliste devait pouvoir accueillir huit personnes et leur bazar habituel : c'était loin d'être gagné et la réunion avait tout intérêt à ne pas s'éterniser, ne fusse que par respect pour nos glandes olfactives. Outre le fait qu'on avait réussit à y caser un sot – je vous laisse deviner – on y retrouvait la bande complète des mécaniciens, prestataires compris, plus ou moins dans l'expectative face à cette convocation tardive reçu le matin même.
Venu pour une fois sans son sempiternel PC, notre chef de projet attaqua bille en tête :
- Bon ! Les gars, si je vous ai demandé de venir ce soir, c'est suite à une remarque de notre direction commerciale : ils ont l'impression qu'il ne se passe rien de concret sur le projet. Je sais où nous en sommes et que vous bossez à fond, se dépêcha t-il d'ajouter histoire de désamorcer la situation, mais il faut croire que les échanges entre nos commerciaux et le client donnent un aperçu de la situation plutôt négatif. Le client semble se plaindre d'un manque de communication de la part de l'équipe R&D, et du coup n'a pas l'impression qu'on bosse pour lui !
Imaginez que la surprise fut vive du coté des galériens qui suaient sang et eau sur le projet dudit client depuis plus de quatre mois. Devant le silence sidéré de son équipe (que dire face à ça ?), il minimisa :
- Je sais, et notre directeur d'études aussi, que tout le monde est à fond depuis le départ. Et c'est pour cela que je vous ai tous réuni : on a décidé d'amortir le coup en proposant au client de venir sur le site, histoire qu'il voit les équipes au boulot sur son bébé, et surtout, surtout, on va l'épater avec une maquette fonctionnelle et ...
Sans lui laisser le temps de finir sa diatribe, la moitié de l'équipe se trouvait déjà debout, le couteau entre les dents et prêt à en découdre pour défendre le peu de temps libre qu'il restait.
- Calmez-vous les gars ! En s'appuyant sur le boulot CAO existant et en extrapolant un peu, on a les moyens de proposer quelque chose qui en jette, non ? D'après ce que j'en sais, vous avez pas mal défriché le terrain, et il ne doit pas vous en manquer beaucoup pour présenter du concret ! Imaginez le crédit qu'on va regagner si on arrive à en coller plein la vue au client, sans compter nos commerciaux qui commencent à me courir sur le haricot !
Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, il faut avouer que c'était plus la perspective de clouer le bec à nos collègues du service commercial plutôt qu'éblouir le client qui nous interpella. Je l'avais souligné dans un chapitre précédent, mais force est d'admettre que chacun ramait dans la direction qui l'intéressait, au détriment de l'objectif principal qui devrait être la satisfaction du client avant tout.
- Donc je propose que deux d'entre vous passent à plein temps sur la préparation de la maquette, sachant qu'on envisage une rencontre dans deux semaines. Et ne me dites pas que c'est trop juste, j'en suis conscient. Va falloir en mettre un coup, mais c'est faisable... J'ai déjà briefé côté électronique, ils vont utiliser une des cartes labo. Et comme vous avez les fichiers du designer, en trois coups de souris vous saurez les exploiter pour en faire du présentable !
Il se redresse, et avec un petit sourire sensément encourageant, conclu la réunion.
- Je ne vous retiendrai pas plus longtemps, chaque minute compte !
Et voilà ! Une fois de plus, on nous rajoutait une brique dans le sac à dos. Malgré la présence rassurante d'un planning maintes fois révisé et dument validé-tamponné, on découvrait une nouvelle tâche n'y apparaissant pas, et qui par ailleurs n'y sera jamais mentionnée. Mais pas question de modifier quoi que ce soit dans les délais, il faudra une fois de plus pagayer en augmentant la cadence, et tant pis si on se dirige à contre-courant !