Donc, Nicolas Théry, président du Crédit Mutuel et, pour un an, de la Fédération Bancaire Française, affirme dans un entretien avec Les Échos « ne pas croire » à l'ouverture de la banque. Si son discours profondément anti-DSP2 n'a rien de neuf et ne surprend pas, il semble tout de même traduire un manque de lucidité abyssal et consternant.
Premier constat (et première stupeur), la diatribe n'aborde que le volet du sujet exposé par la réglementation européenne, qui contraint tous les établissements gérant des comptes de paiement à permettre à des tiers dûment accrédités d'accéder à ceux-ci pour leurs clients (avec leur autorisation). M. Théry n'hésite pas à qualifier le texte d'absurdité, arguant de l'impératif qu'il y aurait à laisser les informations sensibles dans les coffre-forts des banques, de manière à éviter les risques qu'entrainerait leur divulgation.
Comme dans toutes les attaques du genre, il n'est évidemment pas fait mention de quelques vérités essentielles, dont, entre autres : la protection que doivent garantir les entités utilisatrices des services mis à leur disposition, soumises sur ce plan à une réglementation aussi rigoureuse que les banques, le simple fait que les données concernées appartiennent au client (au même titre que ce qu'il déposerait dans un coffre-fort) ou encore la réalité d'une pratique ancienne (qui n'a jamais eu à transmettre des relevés d'opérations ou des bulletins de salaire pour telle ou telle démarche ?).
Surtout, nulle part n'est mentionné l'objectif initial de la directive des services de paiement incriminée. Or l'encouragement de la concurrence, puisque c'est de cela qu'il s'agit, reste un enjeu brûlant pour l'Europe, alors que les premières solutions par virement émergent tout juste. Le patron du Crédit Mutuel est prompt à pointer du doigt les pratiques anti-compétitives des géants technologiques (mettant en exergue la réaction du régime chinois, un comble !), en oubliant que son industrie est visée par la même accusation.
Il n'hésite d'ailleurs pas à déclarer son désir de faire purement et simplement disparaître la FinTech, diabolisée, qui serait le vecteur d'une « vaporisation » des données des clients et d'une « fragilisation » des systèmes informatiques, sous le prétexte que les acteurs traditionnels sont parfaitement capables d'innover. Ce qui revient à nier les progrès accomplis dans la douzaine d'années écoulées. Le paiement fractionné, par exemple, ne décolle que parce qu'il est devenu accessible instantanément, grâce à des jeunes pousses exploitant en temps réel les historiques de transactions des demandeurs.
Et puis, donc, l'horizon de M. Théry ne dépasse pas cet embryon d'« open banking » délimité par le texte européen. Derrière cette mise en bouche, les immenses opportunités de la finance ouverte lui échappent-t-elles donc ? Ne perçoit-il pas les attentes de ses clients ? Est-il donc totalement hermétique aux changements qui s'opèrent dans ses métiers ? Car les quelques API instaurées par la DSP2 ne sont que les prémices d'une révolution considérable à venir dans le secteur, aussi visible qu'inévitable.
En effet, dans le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, dans lequel tous les services interagissent entre eux, dans lequel tout doit être immédiat, l'argent n'est qu'un instrument, qui doit s'intégrer dans les parcours de façon aussi transparente que possible. La promesse de l'ouverture est de faciliter cette immersion. Elle est une réponse à un besoin latent, résultant des habitudes créées par l'univers « digital ». On peut critiquer les tendances monopolistiques des GAFA mais l'expérience sans friction qu'ils offrent à leurs utilisateurs est devenue la norme et il n'y aura pas de retour en arrière.
Il n'est pas question de prétendre que les consommateurs ou les entreprises réclament l'« open banking », qui, pour eux, n'est qu'une expression technique dénuée de sens. En revanche, ce que le déploiement de ce concept autorisera, en termes de simplification et d'accélération de divers actes du quotidien, est clairement au sommet de leurs souhaits. Pourquoi sinon, dans les enseignes qui le proposent, environ deux tiers des emprunteurs préfèrent-ils confier les clés de leur compte afin de vérifier leur éligibilité ?
Naturellement, un patron de banque historique préfèrerait le statu quo, consistant à rester dans sa bulle, face à une concurrence connue et généralement conservatrice. Mais refuser une évolution aussi importante que l'« open finance », en nier même l'existence, en quelque sorte, constitue une faute impardonnable et, pire encore, relève aussi d'une forme avancée de mépris pour les clients, à qui seraient finalement « interdits » l'usage libre de leurs informations personnelles, l'optimisation de leurs expériences, la préférence pour des nouveaux entrants… sous le prétexte (fallacieux) de mieux les protéger !