Linda Pastan – J’apprends à abandonner le monde

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

J’apprends à abandonner le monde
avant qu’il m’abandonne.
J’ai déjà renoncé à la lune
et à la neige, fermant mes ombres
contre les revendications de blancheur.
Et le monde a pris
mon père, mes amis.
J’ai renoncé aux lignes mélodiques des collines,
en m’installant dans un paysage plat et monocorde.
Et tous les soirs j’abandonne mon corps
membre par membre, travaillant vers le haut
jusqu’aux os, vers le cœur.
Mais le matin amène avec lui de petites
grâces de café et des chants d’oiseaux.
Un arbre à la fenêtre
qui n’était qu’ombre il y a un instant
ramène en arrière ses branches brindille
par rameau feuillé.
Et comme je ramène mon corps en arrière
le soleil pose son museau chaud sur mes genoux
comme pour faire amende honorable.

*

I Am Learning to Abandon the World

I am learning to abandon the world
before it can abandon me.
Already I have given up the moon
and snow, closing my shades
against the claims of white.
And the world has taken
my father, my friends.
I have given up melodic lines of hills,
moving to a flat, tuneless landscape.
And every night I give my body up
limb by limb, working upwards
across bone, towards the heart.
But morning comes with small
reprieves of coffee and birdsong.
A tree outside the window
which was simply shadow moments ago
takes back its branches twig
by leafy twig.
And as I take my body back
the sun lays its warm muzzle on my lap
as if to make amends.

***

Linda Pastan (née à New York en 1932) – Traduit par ?