Chaque mois, dans ses 10 derniers jours, tout comme je le fais pour la cinéma (dans ses 10 premiers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu), je vous parle de l'une de mes trois immenses passions: la littérature.
Lire, c'est accepter de vivre l'univers des autres, de plonger dans les observations d'autrui, c'est accepte de faire face à de nouvelles idées, c'est découvrir des styles, des courants de pensées, c'est défier ses propres préjugés, s'en créer des nouveaux, lire c'est apprendre à respirer d'un différent rythme.
Et respirer, c'est vivre.
PURGE de SOFI OKSANEN
La seconde Guerre Mondiale et la Guerre Froide ont donné naissance au thriller d'espionnage moderne où tout tourne autour de secrets non dévoilés/dévoilables et sur les loyautés violées ou non. Dans le troisième roman de la jeune auteure finlandaise (31 ans, alors), Sofi Oksanen, semble enterrer ce type de clichés tout en rappelant subtilement au lecteur qu'il y aura toujours des gens qui se souviendrons où les corps sont enterrés.
Les guerres sont terminées dans Purge. La démocratie et la liberté sont gagnées quand les archives du KGB sont rendues publiques. Les opprimé(e)s retrouvent peu à peu ce qu'ils avaient perdu et les vieilles menteries sont dépoussiérées. Enfin, celles que les "gagnants" veulent bien dépoussiérer. Il y aura de nouvelles et anciennes morts. Rien ne sera facile.
Nous sommes dans les années 90, les jeunes années 90, dans l'indépendante Estonie, où la vieille Aliide vit seule dans son petit chalet depuis des années. Ancienne fonctionnaire soviétique, elle méprise et craint ses voisins en se méfiant d'eux. C'est une sorcière qui pourrait avoir quelques pouvoirs encore...
Les enfants écrivent des insultent sur sa porte et tirent des pierres en direction de sa maison, mais on essaie pas davantage. On ne voudrait pas la voir en personne. Elle est aussi crainte. Il y a la grande histoire en parallèle, la collective, celle qui parle de 45 ans d'occupation et d'oppression, qui ne peut que laisser des traces dans un pays qui a cessé d'exister et qui maintenant, cherche à renaître. À coups de petits moments d'histoire qui servent à se réinventer.
Un jour, Aliide tombe sur une jeune femme dans sa cour, Zara, originaire de Vladivostok, parlant l'archaïque accent Estonien. Elle fuient des hommes circulant dans une grosse voiture noire qui la pourchassent. Le travail et le commerce sexuel est au coeur de tout ça.
On sait que les dictatures et le trafic sexuel ce n'est pas bien. Toutefois ce qui fait de ce livre quelque chose de bien, c'est ce croisement entre la grande histoire et la petite histoire. Comment l'une affecte l'autre. Et comment on construit la nouvelle. Comment Aliide et Zara se retrouvent sur cette ferme en particulier? On retrace les années naïves de jeune fille des années 30, on remonte jusqu'aux année 90, passant d'une loyauté à l'autre, dans l'ère soviétique avec sa paranoia et ses secrets. L'histoire est écrite par les vainqueurs dit-on, mais les perdants écrivent aussi la leur. Et sont convaincus que certaines choses ne se sont jamais produites, qu'ils ont raison, que leur jour viendra, et que l'autre côté ne dira jamais la vérité. Dans le monde de Zara et Aliide, bien des choses ne se sont pas passées comme racontées. Ça ne peut pas être arrivé comme ça.
Purge ressemble un peu à Atonementde Ian McEwan, un excellent roman, un presque meilleur film. Un personnage fort bâti sur notre capacité à nous mentir à nous-même. Et cette manière de parfois reconstruire l'histoire afin de lui faire rencontrer ce qu'on a toujours voulu croire. Les héros sont peut-être aussi des victimes. Mais chez Oksanen, ses personnages explorent le côté beaucoup plus sombre de l'âme, celui qui fait germer le sens de la victimisation. Menant souvent à l'aveuglement volontaire.
Le titre fait référence à la déportation À l'expulsion. À l'exorcisme des vieux démons. Aux sorcières. Au catharsis et à la désillusion. Aux exécutions. Au "ménage". Et à tout ce qui revient à la surface sur le site de la ferme d'Aliide, toujours empoisonné par Tchernobyl, mais empoisonné aussi par pire.
On devra encore cacher les cadavres, laver le sang, choisir un gagnant.
Oksanen a remporté le Finlandia Prize, le Runeberg Prize, le Nordic Council Literature Prize, le Prix Femina et le prix de la FNAC de 2010. C'est une adaptation de la pièce de Sofi du même nom.