C'est le chant d'Artsakh, face à la mort atroce, face à la nature sublime, l'une copulant avec l'autre, dans un viol perpétuel.
Il y a tout juste un an, le 27 septembre 2020, l'armée d'Azerbaïdjan franchissait la frontière de l'Artsakh arménienne (Haut-Karabakh) qui avait fait sécession en 1991. Quelques jours plus tôt, le 21 septembre 2020, Michel Petrossian parlait de l'Arménie avec lyrisme. Elle était la rose mystique, celle qui est sans pourquoi.
Dans ce journal, à défaut de prendre les armes, il prend la plume pour rompre le silence assourdissant qui accompagne cette prédation, opérée par l'amicale internationale djihadiste, coordonnée par la Turquie en Azerbaïdjian, c'est-à-dire par des barbares, voulant imposer à l'Arménie les moeurs hideuses d'un autre temps.
L'Arménie est massacrée, personne ne bouge, écrit-il le 4 octobre 2020. Le 11 octobre, il compare la préservation des vies biologiques en France, Covid-19 oblige - dans un sens on sacrifie les plus jeunes pour que les aînés survivent -, à ce qui se passe là-bas, où ce sont les pères qui vont au front pour que les enfants vivent.
De fait, l'Arménie ne sert à rien puisqu'il n'y a ni gisements ni terres arables d'importance. Aussi l'enjeu ne se trouve-t-il pas là. Il écrit le 22 octobre 2020: Il y a autre chose. Quelque chose de plus fondamental. L'Arménie est un épicentre, un lieu d'origine, le lieu où le monde a recommencé. C'est la mémoire du monde.
C'est pourquoi il ne désespère pas, d'autant que les Arméniens survivent toujours, sans doute parce qu'ils n'idolâtrent pas la cendre mais entretiennent la flamme, contrairement à d'autres peuples. Où sont les Babyloniens? Où sont les Hittites? Où sont les Sumériens? Où sont les Égyptiens?, demande-t-il le 20 novembre.
Au-delà des tragédies individuelles et collectives, dont les récits font frémir et qu'il faut faire connaître, il aborde trois thèmes qui ne peuvent qu'être chers à ceux qui n'ont pas une mentalité d'esclave, qui sont des esprits épris de liberté et qui sont bien conscients d'être des personnes ayant en elles des identités propres.
Hostile aux guerres comme désir de faire mourir, ou comme un élan suicidaire, ou encore commencées par l'instinct chasseur, il écrit le 25 novembre 2020 qu'il faut accepter la guerre quand elle vous est imposée, la détourner à son profit, ne pas se rendre - avant même d'avoir combattu, ce quelle qu'en soit l'issue.
Le 21 décembre 2020, il médite sur la devise tricolore. La liberté lui est la plus chère. Contraire à notre nature profonde - qui a la nostalgie du fouet et du joug, de l'ordre imposé et de la contrainte, de l'esclavage initial -, le travail du devenir pour l'Homme est de se libérer de plus en plus, devenir véritablement libre:
Pour les chrétiens véritables, c'est adhérer à la vérité de Jésus-Christ qui seul affranchit. Pour les bouddhistes, comme pour les stoïciens, c'est de se détacher du désir et d'éluder ainsi son emprise. Pour les philosophes rationnels et matérialistes, c'est d'accéder au savoir réel et de s'affranchir de la superstition, de raisonner juste, avoir une opinion fondée.
(comme il le souligne, les libertés de se mouvoir, de respirer, d'aimer ou de détester, de penser surtout, sont bien mises à mal de nos jours)
Enfin, le 9 janvier 2021, il affirme sans qu'il soit possible de le contredire que personne au monde n'a qu'une identité: Nous sommes tous des mille-feuilles mobiles, avec des couches qui surgissent, plus ou moins, selon le temps: elles sont géographiques, locales, culturelles, et sont pour nous autant d'élargissements du coeur:
Voilà le fascisme contre lequel je m'insurge - que quiconque assigne à quiconque une identité étroite, et l'oblige à s'y tenir. De quel droit? En vertu de quoi? Au nom de qui?
C'est la liberté fondamentale de l'être que nous devons tous défendre.
Francis Richard
Chant d'Artsakh, Michel Petrossian, 172 pages, Éditions de l'Aire