J’ai découvert ce livre au rayon poésie de ma librairie habituelle et il m’a tout de suite attirée car le nom de Christian Dotremont ne m’était pas inconnu.
Christian Dotremont est en effet un peintre et poète belge, connu pour avoir fondé en 1949 le Mouvement COBRA (acronyme de « Copenhague, Bruxelles, Amsterdam », d’où sont issus la plupart des membres de ce mouvement), il est célèbre aussi pour ses Logogrammes.
Voici la note biographique que les éditions Unes consacrent à cet artiste-poète :
Christian Dotremont est né en 1922 en Belgique. Il publie ses premiers textes en 1940, notamment Ancienne éternité, poème incandescent immédiatement remarqué par Magritte, Scutenaire et Ubac. Il rencontre Picasso, Éluard, Giacometti, Cocteau et incarne la relève d’un mouvement surréaliste qui se dilue dans le fracas de la Seconde Guerre mondiale. Il fonde en 1949 le mouvement Cobra – avec Joseph Noiret, Pierre Alechinsky, Asger Jorn, ou encore Karel Appel –, qui ouvre un espace expérimental d’une grande liberté dans l’art contemporain, au-delà des enjeux de figuration et d’abstraction ; laboratoire où se croisent des expériences artistiques qui se prolongent bien après la dissolution officielle du groupe en 1951. Cette même année, Dotremont contracte la tuberculose, qu’il appelle « la catastrophe ». Jusqu’à sa mort en 1979, il ne cesse de questionner le rapport entre les images et les mots, ambition qui s’exprime pleinement dans ses célèbres Logogrammes qui repoussent les limites de la plasticité alphabétique, inventant une calligraphie inédite, entre l’image et le lisible, et qui lui assurent une renommée internationale. Son œuvre poétique se nourrit de plus en plus des nombreux voyages qu’il fait en Laponie, malgré une santé de plus en plus précaire. Auteur d’un nombre important de poèmes et de textes courts publiés à Paris, Bruxelles ou Amsterdam, ainsi que d’un roman (La Pierre et l’oreiller, Gallimard, 1955), il laisse une œuvre lumineuse, souvent enjouée, faite de surprises et d’émotions, de rebondissements de langage permanents, qu’irrigue un élan passionné, une jeunesse inaltérable, et un amour fou des valises dans lesquelles il emportait sa vie. (source : site de l’éditeur)
Voici une Présentation du Livre par les éditions Unes :
Cette édition rassemble sept ensembles de poèmes de Christian Dotremont, d’Ancienne éternité, texte éblouissant écrit en 1940 à seulement 17 ans et qui le fera intégrer immédiatement les groupes surréalistes belges puis français, jusqu’à Les trois forêts, écrit au sanatorium d’Eupen en 1953 où il soignait sa tuberculose. (…) (source : site de l’éditeur).
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(page 13)
Extrait d' »Ancienne éternité » (1940)
V
Avant, c’était quoi ? – une petite chambre involontaire où je couchais avec moi. – pour ouvrir la lucarne, une corde grinçait – et pour ouvrir mon espoir. – avant, c’était quoi ? – imaginez une route bordée de routes, – avec un papier au bout. – j’ai dit : non. – le samedi, je me déguisais en homme heureux – mais c’était un vêtement loué. – c’était fort solitaire ? – non, moins. – c’était beaucoup d’ombres, c’était un livre, c’était des vers parmi des proses ; donc, une obscurité. – seuls, mes yeux crevaient de lumière. – et quoi encore ? – l’invisible.
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(page 23)
Extrait de « Petite«
III
Je lui ai dit qu’elle était belle et que j’avais soif et qu’elle savait me donner à boire.
J’ai agenouillé mon désir devant elle et elle l’a relevé.
Parce que nous sommes devenus les deux frères d’une seule escapade merveilleuse.
Il y avait des lumières maladroites qui taquinaient le soir.
Et il y avait nous entre les arbres et nos ombres se mélangeaient derrière nous.
Et tout ce qui était à elle et à moi se mélangeait comme les différentes fleurs d’un seul bouquet.
Les fleurs que j’apportais étaient des fleurettes du mal, pas fort belles.
Et les fleurs qu’elle apportait étaient si incroyablement jolies et odorantes et neuves.
Mais nous avons marié nos différences enfantines et nous avons offert le bouquet à nous-mêmes.
Elle n’a pas dit de grands mots mais elle a dit qu’elle venait d’avoir un cours d’histoire.
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(page 46)
Extrait de « Etes-vous fort ? »
II
Est-ce qu’il neigeait ? – Lorsqu’elle m’a glissé ce petit peu de neige, le soleil s’était caché pour que rien ne fonde de notre rencontre, pour que le feu entre nous s’allume sans secours, à seule raison de notre chaleur, à seul défaut de notre silence, et d’ailleurs… – Et d’ailleurs ? – Et d’ici je vois que nous étions ensevelis sous je ne sais quelle neige, de je ne sais quel ciel, sous une imperfection éclatante comme l’écume, tanguante comme la mer, sous le terrible poids du présent. – Mais à quel avenir avez-vous donné le mot de passe ?
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(page 55)
Extrait de « Les trois forêts »
C’est une nuit d’été que j’ai pour la première fois entendu la forêt parler, je me suis arrêté pour que le bruit de mes pas, – j’ai dominé mon émotion pour que le battement de mon cœur – ne se mêlent pas à cette voix tumultueuse de feuilles, – craquante de branches et glissante de mousse, – et palpitante d’odeurs et d’oiseaux, – claire d’été mais sourde de nuit. Je n’ai pourtant pas compris, – je n’ai rien compris, – je n’étais pas habitué, – et de mon côté je n’ai rien dit.
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Ancienne éternité est paru aux éditions Unes en décembre 2020.
Voici enfin un exemple de Logogramme de Christian Dotremont :