Magazine Bons plans

Les cures pittoresques de l'Abbé Kneipp — Silhouettes et récits d'un touriste

Publié le 24 septembre 2021 par Luc-Henri Roger @munichandco

Les cures pittoresques de l'Abbé Kneipp — Silhouettes et récits d'un touriste

Abbé Sebastian Kneipp


Sébastien Kneipp est né le 17 mai 1821 à Stephansried dans le Royaume de Bavière et mort le 17 juin 1897 à Bad Wörishofen. Mais qui était donc ce fameux abbé Kneipp, une des figures les plus attachantes de l'histoire médicale bavaroise ? Nous avons retrouvé un texte d'un témoin de 1891 qui nous le présente tel qu'il a pu l'observer dans son fief de Bad Wörishofen.
Un article du Supplément littéraire du dimanche du Figaro (12 décembre 1891)
Ces fragments sont extraits d'une brochure des plus curieuses dont nous sommes heureux d'offrir la primeur aux lecteurs du Figaro. L'auteur, M. Ernest Goethals, a été le témoin oculaire des faits qu'il relate et des tableaux qu'il esquisse d'une plume alerte, en une série d'instantanés pittoresques destinés à en aviver encore l'intérêt. L'ouvrage, grand in-12, illustré de gravures très réussies, paraîtra sous peu à Paris, chez l'éditeur Victor Lecoffre, et à Bruxelles, à la Société belge de librairie.
Wörishofen
Wörishofen est un petit village en Bavière d'environ 800 âmes. On y arrive, de la gare de Türkheim, en vingt-cinq ou trente minutes de voiture, par une route inégale et mal entretenue. À droite, à gauche, à perte de vue, d'immenses prairies à l'aspect mélancolique dont la monotonie est à peine interrompue par quelques maigres bouquets de sapins jetés comme au hasard, de-ci, de-là, dans le lointain. L'impression est triste et le cœur se serre à cette solitude. Bientôt, cependant, on distingue des silhouettes de promeneurs. à mesure qu'on approche, on constate avec étonnement qu'ils n'ont ni souliers ni bas. Les hommes retroussent leur pantalon, les femmes leurs jupes, et tous marchent gravement ainsi sur la route pierreuse ou dans les prés qu'elle traverse. Et pourtant, ce ne sont là ni des mendiants, ni des vagabonds, ni même des campagnards. Leur aspect dénote des gens de la ville plusieurs ont une mise soignée. Ne vous étonnez pas ce sont des clients de l'abbé Kneipp !Déjà un clocher se dessine à l'horizon; il grandit rapidement, et avec lui le nombre de gens nu-pieds augmente : on les compte à présent par groupes. Le premier étonnement passé, on se sent pris d'une douce gaieté à la vue de ces processions étranges, et, grâce à elles, c'est le sourire aux lèvres qu'on fait son entrée à Wörishofen.
L'Abbé Kneipp —L'oracle, l'idole, le palladium de la contrée
Grand, fort, épais de partout, une tête étrange sur un corps puissant ; des yeux perçants et mobiles sous des sourcils immenses, la lèvre épaisse, le nez charnu, le front puissamment bombé, les joues tombantes, le menton carré des épaules de débardeur et des mains d'hercule, tel est, au physique, le Pfarrer (curé) Sébastien Kneipp.Tout en lui respire la vigueur et l'énergie. C'est grâce, en effet, à une énergie indomptable qu'il est arrivé à se faire lui-même ce qu'il est devenu : il est bien un self-made man.Fils de pauvres tisserands de village, il devait, au gré de son père, devenir tisserand comme lui. Son rêve cependant était de devenir prêtre. Entre ce père têtu et ce fils obstiné autant que respectueux, quelles luttes de chaque jour ! Le, jeune homme se conformait ostensiblement à la volonté paternelle : le jour il faisait courir la navette avec ardeur, mais il étudiait en secret, la nuit, tout le monde couché. À la fin, cette vie le mina, et quand, à vingt ans passés, il fut reçu, pour y apprendre le latin, chez un vieux curé du voisinage qu'il était parvenu à intéresser à son sort, sa santé se trouva gravement ébranlée. Si bien que, sur le point d'entrer au séminaire, il s'en vit refuser l'accès pour cause de faiblesse de constitution. Tout autre eût désespéré. Kneipp, au contraire, fouetté par ce nouvel obstacle, se jura d'en avoir raison comme de tous les autres ! C'est alors qu'il imagina de se traiter à l'eau froide et de se guérir tout seul avec, pour seul guide, un vieux traité d'hydrothérapie découvert par hasard dans une bibliothèque publique à Munich. Il poussa le courage jusqu'à se baigner, chaque matin, pendant un hiver entier, dans la rivière dont il cassait la glace à grands coups de talon de botte. Le succès couronna si bien son ardeur que, reçu enfin au séminaire, il put, vers trente ans, recevoir l'ordination. Dès lors, l'hydrothérapie compta en lui un adepte fervent et l'étude des applications rationnelles et variées de l'eau, tant tiède que froide, fut son occupation favorite dans ses moments de loisir.Débordé, aujourd'hui, par l'affluence de ceux qui accourent à lui des pays les plus divers, Kneipp mène, à soixante-dix ans, une vie à laquelle résisteraient peu d'hommes dans la force de l'âge. Levé avant quatre heures, il vaque à son ministère jusqu'à huit, puis, jusqu'à six heures du soir, il appartient à ses malades, ne se réservant qu'une heure, vers midi, pour recevoir à sa table frugale les évêques et les personnages de distinction de passage à Wörishofen. Le soir, il écrit, rédige, fait sa vaste correspondance, boit de l'eau. et se couche tard. Il vit avec ses deux nièces qui font autour de lui une garde sévère et empêchent les importuns de pénétrer jusqu'à leur oncle aux heures indues et de prendre sur les moments de repos et d'étude qu'il se réserve.Kneipp est un paysan et il s'en fait gloire. Il a du campagnard la rudesse, la finasserie bonhomme, l'esprit caustique, la défiance et l'abord fruste. Vous le rencontrez sur la route, marchant de son pas un peu lourd, l'allure du bœuf sous le joug, jamais pressé. Vous vous découvrez s'il ne vous connaît pas, il vous regarde et passe. Vraisemblablement, cet homme n'aime pas qu'on le salue, cela le gêne de se découvrir. Si on l'aborde, il répond simplement, brièvement, mais avec bienveillance: À l'occasion il ne dédaigne pas le met drôle il aime le gros rire. Vous lui rendez un menu service quelconque : lui ramasser son mouchoir, par exemple, lui passer sa tabatière, lui offrir du feu pour son cigare, il ne vous dit pas merci. A quoi bon? Toujours le paysan !Mais un paysan de beaucoup de cœur sous cette rude écorce se cachent des sentiments exquis. Sa charité est, dit-on, sans bornes et sa pitié pour les malheureux inépuisable. Il aime les plantes et les fleurs, chérit « les bêtes du bon Dieu » et se complaît au milieu des petits enfants. Kneipp possède un petit chien à poils longs, tout blanc, qui adore le curé et ne le quitte pas plus que son ombre ; peut-être l'a-t-il guéri, lui aussi ? L'histoire ne le dit pas. Spitz (c'est son nom) a pour mission spéciale d'éveiller son maître à heure précise avec une ponctualité d'horloge, chaque matin, à trois heures et demie, il se pend aux draps du curé, les arrache, se roule dessus par terre, puis attend bravement que le bon vieillard se lève et s'en aille dire sa messe de quatre heures au couvent d'à côté. C'est là seulement qu'il n'a pas le droit de le suivre. Et il le sait. Ailleurs il fait partie de l'escorte, et sa place est marquée partout. Aux audiences publiques, il se tient sous le fauteuil de son maître et n'en bouge pas. Qui veut faire sa cour à Kneipp caresse son chien. Mais, pour. pénétrer sûrement jusqu'à lui, le moyen le meilleur est encore de passer par Marichen (en allemand, petite Marie, Mariette).Marichen est la petite nièce du curé, charmante blondinette aux pieds nus, que son oncle a recueillie et garde auprès de lui espiègle, éveillée et remuante, véritable écureuil en cage, elle est la joie du presbytère. Marichen a l'oreille du Pfarrer et sa mignonne protection est toute-puissante auprès du grand homme. A table, elle saute sur ses genoux et picore dans son assiette. Aux audiences où elle a ses entrées franches, elle le tire par le bas de sa soutane et l'avertit que l'heure vient de sonner, qu'il est temps de lever l'audience.
La consultation
Au rez-de-chaussée, deux petites pièces basses, séparées par un corridor. L'une tient lieu de salon d'attente les malades s'y entassent longtemps avant l'heure le corridor même en est encombré. Chacun tient à la main son numéro d'ordre ainsi qu'un livret à son nom, en tête duquel sa maladie est décrite et où l'on inscrira, à chaque consultation, le régime prescrit. Bientôt un appariteur pieds nus (il faut bien rester dans les traditions de la maison !) appelle les malades d'après leur ordre d'inscription et les introduit, par groupe de quinze à vingt, dans la seconde pièce qui est la salle d'audience. Pour beaucoup le moment est solennel ! Abandonnés des médecins, ayant suivi tous les traitements possibles et désespérant de la science, ils sont venus de loin, sur la foi d'une réputation immense et grandissante, consulter le curé bavarois qui seul, pensent-ils, pourra peut-être les guérir encore. Et ils attendent l'oracle en tremblant !Des murs blanchis au lait de chaux, quelques chaises en paille, une longue table de bois blanc, voilà le cadre. Autour de la table, des médecins assis ; debout derrière eux, à l'arrière-plan, des prêtres et des moines, observant et prenant des notes : ils cherchent à surprendre la méthode du maître. Au centre, Kneipp, comme un bon bourgeois, dans son fauteuil, le cigare à la bouche, sa tabatière à la main, un verre d'eau devant lui, impassible.Et le défilé commence. Chacun à son tour s'approche de la table, tend son livret que le médecin de service commente brièvement, puis, à haute voix, il achève d'exposer son cas, mais dans le moins de mots possible, car il faut aller vite ; on n'a que trois minutes, Et il attend sa sentence.Le cérémonial est le même pour tous les hommes faits, les enfants, les femmes même. Souvent les dames, intimidées et confuses, hésitent devant cette confession publique. Elles ont à révéler leurs petites ou grandes misères féminines, et à entrer parfois dans des détails d'un ordre si intimé que, dame ! cela ne va pas tout seul. Pensez donc, tous ces hommes autour d'elles, toutes ces oreilles tendues Que va-t-on dire ? Mais on ne dit rien du tou.t A Woerishofen, chacun pour soi et Kneipp pour tous, et nul ne songe à mal. D'habitude l'hésitation est de courte durée. À la guerre comme à la guerre, et d'ailleurs puisqu'il le faut ! Et ces dames baissent la voïx, une voix un peu tremblante d'émotion, et le cercle d'hommes s'élargit discrètement. Heureuses quand le curé, qui a l'oreille un peu dure, ne les interrompt pas pour leur dire : « Plus haut ! parlez donc plus haut! »Si vous n'entendez pas l'allemand, la situation se complique encore, et le malheureux étranger se trouve bien penaud ! Le français seul est quelque peu compris par les deux médecins attitrés qui servent alors d'interprètes, mais l'explication est pénible, et les trois minutes fatales sont bien vite écoulées Pendant ce temps, Kneipp regarde peu son malade, ou plutôt semble le regarder peu, car il l'examine, le fouille, le scrute, paraît-il, sans en avoir l'air. Son œil mobile se promène sur l'assistance, sans s'arrêter sur personne. Il prend une prise de tabac, rallume son cigare, boit une gorgée d'eau. Puis il pose quelques questions d'une voix de basse-taille, lentement, méthodiquement et semble parfois consulter ses souvenirs, ou rappelle en peu de mots des cas analogues aux médecins présents qui en prennent note. Enfin, il indique le traitement à effectuer et le régime à suivre pendant un nombre de jours déterminé le docteur inscrit rapidement le tout dans votre livret qu'il vous rend. L'audience est terminée.Et ainsi défilent de soixante à quatre-vingts malades en une seule séance Et il y en a de tous les âges, et affligés des maladies, des misères, des infirmités les plus diverses. Il y en a des sourds et des aveugles des rachitiques, des chlorotiques, des dyspeptiques ; il y a des poitrinaires il y a aussi des paralytiques, des surmenés, des épuisés de la vie ; certains ont un membre perclus, atrophié, contourné d'autres font voir des plaies anciennes, rebelles à toute cicatrisation ; d'autres sont porteurs de cancers, de lupus (1) répugnants. Une vraie cour des miracles!
Le système de l'abbé Kneipp
Régénérer le sang, l'enrichir, en assurer la circulation normale jusqu'aux extrémités du corps, voilà tout le secret de la méthode de Kneipp. Quarante années d'expérience, d'étude et de patiente observation l'ont amené à cette conclusion que, toute maladie étant causée par la présence dans l'organisme d'éléments nocifs, c'est dans le principe essentiel de l'organisme, dans le sang et non ailleurs, dans son altération, son appauvrissement et sa circulation anormale qu'il convient de rechercher la cause unique et l'origine de toutes les maladies. Et ce n'est pas seulement aux maladies inflammatoires ou autres nettement caractérisées que cette néthode s'applique; non seulement aux affections générales vagues, mal définies et persistantes, telles que troubles digestifs, ébranlements nerveux, etc. C'est même aux maux les plus localisés, aux accidents organiques qu'il va jusqu'à l'étendre la cécité, la surdité, la paralysie n'échappent pas à sa loi.Le corps humain n'est pas une mécanique d'horlogerie où, tous les rouages étant bons moins un, il suffit de la réfection de celui-ci et de sa mise en place exacte pour que le mouvement tout entier devienne excellent et marche à souhait tout autre est la merveilleuse machine humaine Elle forme un tout indivisible, et chacun des organes qui concourent à son fonctionnement complexe est titulaire et dépendant d'un principe vital unique, qui est le sang. Partant de ce principe, la conclusion s'impose tout mal, quel qu'il soit, n'est que la résultante d'un désordre général, accidentellement localisé dans telle ou t'elle partie du corps ou affectant tel ou tel organe en particulier. Traiter cet organe, pris à part, peut le guérir sans aucun doute, grâce à l'habileté du praticien mais le principe du mal n'en est pas pour cela éliminé de l'économie générale et est susceptible de reparaître dans la suite, soit sous la même forme, soit sous forme nouvelle affectant des caractères différents.Tout au contraire traiter l'organisme dans son ensemble, le renouveler de fond en comble par la restauration du sang, et, au moyen de celui-ci, assainir les organes du corps entier, les fortifier, les revivifier voilà, d'après Kneipp, la véritable voie à suivre. Et cela est logique. Et il ne semble pas qu'il se puisse élever quelqu'objection sérieuse contre cette théorie, qui, du reste, n'est pas nouvelle.Mais où le curé bavarois bouleverse toutes les traditions d'Hippocrate et de Galien, c'est dans le moyen à employer et principalement dans la façon de l'appliquer. Kneipp, tout en préconisant fort la vertu trop ignorée des simples, des humbles petites herbes des prés et des bois, n'emploie généralement que l'eau L'eau, l'agent le plus simple, le moins coûteux, que nous ayons sous la main toujours et partout ; oui, l'eau tout uniment, parce que seule elle peut agir sur toutes les parties du corps simultanément, rapidement et d'une façon sûre. Mais, entre les mains de Kneipp, l'eau. n'est pas seulement un agent de réaction puissant, elle est de plus, — et c'est ici que le curé-médecin innove totalement, elle est dans son système un élément de pénétration et d'absorption. Il veut que le corps se sature, par voie cutanée, de la plus grande quantité d'eau possible et à des intervalles espacés. D'où la prescription formelle de ne se jamais essuyer, au sortir du bain froid, que les mains et la figure seulement.
Masques d'argile
Quelles sont ces ombres qui glissent et s'effacent en rasant les murailles ? Les femmes portent un voile épais et les hommes rabattent leurs chapeaux. La tête basse, ils marchent silencieux et mornes. Approchez-vous : leur face bouffie, barbouillée d'argile, ne laisse voir que des yeux clignotants et des lèvres tuméfiées sur une bouche entr'ouverte. Ce sont des infortunés atteints du lupus. Le lupus ! Ce mal rongeur et impitoyable qui mène sa victime lentement à la tombe après l'avoir défigurée. Ah! les malheureux ! vous écriez-vous, ils n'ont plus qu'à appeler la mort à leur aide !Rassurez-vous, âmes sensibles, et gardez vos larmes pour une occasion meilleure : à Woerishofen, le lupus se guérit. Si incroyable que cela vous puisse paraître, le fait est vrai. Oui, là même où la pharmacopée avait en vain épuisé ses drogues et ses caustiques, où le bistouri ne pouvait enrayer les progrès du mal horrible, l'eau, l'argile et le vinaigre opèrent merveille. Vous refusez d'y croire ? Eh bien venez donc y voir vous-mêmes, nouveaux Thomas, mettez le doigt dans la plaie ! Je n'ai pas l'honneur d'être médecin, ni même docteur en quoi que ce soit, mais, simple touriste, je redis ce que j'entends et raconte ce que je vois. Et je vois des choses étonnantes et j'en entends de plus extraordinaires encore.Parmi tous les maux qui viennent chercher remède à Woerishofen, il n'en est pas un, peut-être, dont la guérison y soit plus fréquente, plus assurée même que celle du lupus ; il n'en est pas de plus saisissant surtout. Que dire de gens qui s'en viennent n'ayant plus face humaine : les chairs décomposées des pustules purulentes sur tout le visage et jusque sur la gorge, les joues trouées de plaies saignantes et sans cesse grandissantes, le nez rongé, aux trois quarts disparu, les yeux et les oreilles attaqués à leur tour; et qui, après quelques semaines de traitement, voient leurs plaies se dessécher, les chairs s'assainir et les tissus se reformer rapidement? Déjà la douleur a fui et les cuissons n'existent plus à peine une démangeaison de bon augure, avant-coureur de la cicatrisation définitive Un peu de patience encore, un peu de persévérance et la guérison sera complète !Des cures ont été obtenues en quelques semaines ; la plupart le sont en peu de mois : rarement, il faut une année, même pour les cas les plus avancés. Mais qu'importe l'attente si, presque dès le début, une amélioration chaque jour plus marquée vous donne la certitude du succès final !II y a trente ans que le curé bavarois traite le lupus avec un succès qui ne s'est pas démenti. Mais, modeste et sans ambition, il n'en a jamais fait état. Alors que, dernièrement, la découverte soi-disant merveilleuse de Koch faisait pousser des cris d'admiration au monde entier et mettait en émoi la science, bien que la lymphe appliquée au lupus dût borner son action à en faciliter le diagnostic, le curé de Woerishofen, lui, gardait l'anonyme et continuait de guérir en silence.Pour en répandre la nouvelle, il n'a fallu rien moins que le flot des malades que lui amène, depuis cinq ou six ans, le succès inattendu de son premier ouvrage. Les journaux de médecine qui se sont occupés des cures remarquables de M. l'abbé Kneipp n'ont guère signalé cette particularité des lupus guéris par lui. Et cependant, combien serait intéressante une communication scientifique bien faite sur ce sujet. Espérons que, d'ici peu, quelqu'un des médecins éminents qui passent chaque jour à Wörishofen voudra bien s'en occuper, et traiter, avec l'autorité d'un nom connu, cette question vitale pour tant d'infortunés. Le traitement employé est des plus simples : de l'eau, — toujours — comme base du système. Elle doit, dans ses applications diverses et alternées, servir à remuer le sang, à en activer la circulation et, ainsi, à chasser vers l'épiderme les humeurs qu'il charrie avec lui. Mais comme, pour les attirer tout à fait au dehors, l'eau seule serait insuffisante, on a, de plus, recours à un agent local externe : l'argile. Délayée longuement et avec soin dans de l'eau de pluie additionnée d'un dixième de vinaigre, on l'étend en couches épaisses sur tout le visage, et on répète l'opération deux fois par jour.Avant chaque opération nouvelle, un lavage minutieux fait disparattre toutes traces d'argile de la fois précédente ; des lotions détersives et résolutives de décoction de « prêles des champs » viennent ensuite rafraîchir les chairs endolories. On a donc l'argile qui attire les humeurs malsaines et dessèche les plaies, le vinaigre antiseptique qui les assainit ; la prêle qui résout, adoucit et aide à la reconstitution normale des tissus. Parfois, quand la morsure du mal rongeur a été particulièrement profonde, et après que les premiers symptômes de cicatrisation commencent à se manifester, on ajoute sous l'argile un premier enduit de fromage blanc dont l'action calmante et rafraîchissante est un adjuvant précieux à cette période de la cure.C'est dans un coin écarté de la salle d'audience et au cours même des consultations que s'opère ce badigeonnage d'un nouveau genre. Une charitable demoiselle à cheveux blancs y procède avec gravité. Du bout de son petit bâtonnet, elle étend, avec une complaisance visible, l'argile onctueuse sur les visages qu'on lui présente, les barbouille avec amour, entasse couche sur couche, puis se recule d'un pas pour admirer son œuvre, tandis que de l'autre côté de la salle, s'élève la voix de basse du Pfarrer Kneipp interrogeant ses malades et dictant ses ordonnances. C'est encore là, entre beaucoup d'autres, car on ne pourrait les citer tous, un des épisodes du Wörishofen pittoresque.Les airs pénétrés de la demoiselle, la passivité résignée des patients, non moins que le sérieux imperturbable de l'assistance devant ce tableau comique font, comme de juste, la joie des nouveaux arrivants. Mais, bientôt, ceux-ci ne rient plus ; on ne rit pas longtemps au spectacle des misères humaines. Et l'envie de rire fait place à l'admiration quand on constate de jour en jour les progrès de ceux que l'on avait vus, il y a peu de temps à peine, hideux et repoussants. Ils portent, il est vrai, toujours le masque, le sinistre « masque d'argile » mais déjà la joie luit dans leur regard et leur cœur est gonflé d'espérance. Le mal affreux qui les poursuivait depuis dix ans, vingt ans et souvent plus, dont les récidives incessantes, en dépit des médications les plus énergiques, les avaient plongés dans le désespoir et les idées de destruction de soi-même, ce rêve obsédant, cet épouvantable cauchemar de chaque jour, ils le voient disparaître, s'évanouir comme par enchantement. L'heure approche où ils pourront enfin regagner leurs foyers et tendre la main à leurs amis sans crainte de voir l'horreur et la pitié se peindre sur les visages autour d'eux.Près de trois cents cas de lupus ont été traités par Kneipp cette année seulement, m'affirme le docteur Tacke, médecin attaché à la clinique de Wörishofen, homme aimable autant que praticien de mérite. Sur ce total de malades, plus de la moitié ont obtenu l'exeat après constatation formelle de leur guérison complète et définitive ; les autres, pressés de rentrer chez eux, sont partis un peu prématurément : ils étaient néanmoins tous en si bonne voie quand ils ont quitté qu'il n'y a pas de doute qu'ils ne soient aujourd'hui aussi bien portants que les premiers. D'ailleurs, ajoute M. Tacke, il n'est même pas indispensable de recourir à M. Kneipp pour se guérir du lupus d'après sa méthode. Le traitement est si simple que chacun peut se l'appliquer à soi-même. Il est, de plus, inoffensif : en effet, par une propriété singulière et remarquable l'argile, ainsi appliquée, n'attaque que les tissus contaminés, les chairs saines restent complètement à l'abri de son action. Enfin, il est d'une réussite assurée : les registres de Woerishofen ne mentionnent pas un seul cas d'insuccès !On m'affirme que des personnes atteintes de cancers dûment constatés ont également recouvré la santé par le même traitement. Je me borne à enregistrer le dire, n'ayant pu suffisamment en vérifier l'authenticité.Ces cures merveilleuses du lupus sont une des choses qui ont ici le plus excité ma curiosité sympathique. J'ai tenu à faire à ce sujet plusieurs enquêtes personnelles, ne voulant me contenter ni des affirmations des médecins ni même de ce que je vois de mes yeux aux consultations publiques j'ai causé, à diversses reprises, avec les malades eux-mêmes, avec les plus gravement atteints, et tous m'ont confirmé, dans des formes diverses, les dires des médecins et mes propres observations.Atteints du mal rongeur depuis des périodes variant de cinq à vingt ans, ils n'avaient, en général, pas attaché d'importance à ses premières manifestations un bouton rouge-brun sur la face, dont l'origine leur était inconnue. Le bouton, devenu pustule, s'ulcérait et prenait de l'extension tout à l'entour ; parfois la plaie semblait se dessécher d'un côté pour s'étendre plus sûrement d'autre part et faire tache d'huile. Alors on avait eu recours aux hommes de l'art : ablations sèches, extirpations douloureuses, onguents caustiques, cautérisations, tout avait été essayé en vain, et la contagion gagnait toujoursUne femme de la Bohême a les yeux attaqués, le mal, remontant sans cesse, a dévoré les paupières inférieures et menace d'envahir l'orbite. Un prêtre polonais n'a plus de nez : le cartilage lui-même a presque entièrement disparu et, par l'ouverture béante, on voit des choses horribles ! D'autres ont les joues couvertes d'érosions sanguinolentes et des traces s'en répandent, comme une coulée de bave venimeuse, jusque loin sur le cou. D'autres enfin, mieux partagés ou dont l'affection n'en est encore qu'à son début, n'ont pas senti la morsure profonde, et le mal n'est encore que superficiel. Pour ceux-ci, la guérison sera prompte.Mais tous, sous la glaise qui leur couvre la face, sentent les bienfaits de cet onguent d'un nouveau genre: les douleurs disparaissent, les cuissons diminuent graduellement et déjà, sous l'action d'un sang meilleur, les tissus commencent à se reformer.Ah ! pauvres masques d'argile, sinistres cocons à la teinte d'ocre, que de misères vous aurez abritées avant de donner l'essor au brillant papillon de la vie reconquise !Ernest Goethals.
(1) Le lupus érythémateux disséminé ou lupus systémique est une maladie auto-immune . Dans cette maladie, le système immunitaire , qui protège contre les microbes ou les substances étrangères à l'organisme, se dérègle et se retourne contre les propres cellules de l'organisme.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Luc-Henri Roger 35935 partages Voir son profil
Voir son blog