C'est un miroir aux alouettes. Il y a un encombrement d'institutions, un encombrement d'instruments de lutte.
Mais, il y a une main invisible qui affaiblit en même temps tous ces instruments et toutes ces stratégies. J'en suis arrivé à la conclusion qu'en réalité dans ce pays, la corruption est un levier de gouvernance pour celui qui le dirige et s'il osait s'en départir, c'est tout son système qui s'écoulerait. Néanmoins, encourageons ce qui est fait. C'est pour ça que j'ai raconté la fable du colibri au président Massi Gams. Il fait sa part. Donc dans cette affaire, même si l'incendie embrase toute la forêt et que le petit bec du colibri ne peut pas l'éteindre, il n'empêche que le petit colibri peut quand même de temps en temps essayer d'injecter un peu d'eau. Ça ne tiendra pas mais il fera sa part.
C'est ce que je lui ai dit. Les propositions de mon point de vue ne sont pas bien compliquées. Première chose, il est difficile de lutter contre la corruption quand la précarité a envahi toute la société. Vous demandez à des agents publics qui reçoivent un salaire qui ne leur permet pas de vivre à Yaoundé ou à Douala ; vous demandez à des gens qui tirent le diable par la queue d'avoir un rapport distant du bien public, alors qu'en plus ceux-là même qui eux ne sont pas dans la précarité, qui eux ne tirent en principe pas le diable par la queue volent à ciel ouvert. Le vol ne commence pas en bas. Le vol ne commence pas par le gars que vous voyez dans la rue. Le vol commence par le patron du gars, le patron de son patron et ainsi de suite. La plupart des gars que l'opération épervier a attrapés ne sont pas des voleurs à la hâtive. Ce sont des gens qui ont volé des milliards de francs alors qu'avant de les voler, ils étaient réputés suffisamment aisés. Donc, c'est une gangrène qui est systémique.
Il faut quand même sortir les gens de la précarité et puis de toute façon c'est la rigueur de tout temps. Et je suis d'accord avec le vice-président de la Conac lorsqu'il disait qu'on ne peut pas éradiquer la corruption. Evidemment l'humain a le vice dans la peau. Mais on peut effectivement la réduire dans des portions congrues et cela s'est vu ailleurs. Ça s'est vu par une seule chose : la sanction. J'ai vu une loi dans ce pays, la loi sur les collectivités territoriales décentralisées votée après le grand dialogue national et qui un an plus tard, a été bafouée par une autre, la loi des finances. Le vice-président de la Conac m'a répondu en disant qu'il n'y a pas de problèmes et que ce sont des questions de parallélisme. Ça m'a juste amusé. Je comprends que c'est le juriste aérien qui parlait. Il ne s'agit pas de juridisme, il s'agit d'un problème social.
Lorsque vous avez voté une loi en 2019 pour résoudre un problème social et que vous votez une autre un an plus tard pour ne pas résoudre le problème, on comprend que la loi n'a pas de problème. Par parallélisme, elle a été détruite par une autre mais le problème social demeure, il s'aggrave. Donc si vous faites une loi contre la corruption et que le lendemain vous créez une autre qui affaiblit celle-là, et que dans la même loi vous mettez des textes d'application qui verront le jour 20 ans plus tard, c'est qu'il y a une réelle volonté de ne rien faire ou alors absence de volonté de faire. Voilà dans quoi on est.