Les grands groupes ont une telle frénésie de réorganisations qu'ils donnent parfois l'impression de s'épanouir dans une sorte de changement permanent dont le sens aurait été définitivement perdu. Jennifer Sigler, analyste spécialiste du marketing pour Gartner, propose quelques recommandations génériques pour une démarche raisonnée.
Son objectif n'est pas de dessiner une structuration optimale de l'entreprise, ce qui n'aurait aucun sens car chacune d'elles à ses particularités, qu'il faut respecter. Il s'agit plutôt de s'attarder sur le processus même de redéfinition d'une organisation, qui, lui, devrait comporter des caractéristiques immuables et est, dans les faits, le siège d'une gamme d'erreurs récurrentes, dans le temps et dans l'espace, souvent fatales et toujours contre-productives. Or, sans surprise, les constats relèvent du simple bon sens.
Les ennuis commencent ainsi dès les prémices, à savoir les motivations qui justifient d'engager un mouvement. Faites donc l'expérience : si vous interrogez les collaborateurs, leurs responsables, voire les dirigeants, vous vous inquiéterez probablement de ne trouver personne sachant pourquoi une telle décision a été prise. Et, à force de chercher, vous découvrirez peut-être qu'elle n'est qu'une réaction automatique, une sorte de réflexe, face à une difficulté jugée insurmontable ou dont la résolution paraît trop complexe.
Le pire cas, hélas fréquent, est celui d'une personne, en général nouvellement arrivée ou promue, qui désire uniquement imprimer sa marque immédiatement, en agissant sur les organigrammes. Dans les circonstances où il existe un vrai problème à traiter, celui-ci n'est pas réellement analysé. Le jeu des chaises musicales devient une sorte de solution magique évitant d'avoir à réfléchir. Il serait pourtant sage, au vu des conséquences de l'agitation créée, d'explorer les diverses possibilités qui se présentent.
Vient ensuite la forme donnée au changement. Là, les incohérences apparaissent entre la cible affichée et son exécution : quel rapport entre l'enjeu et l'organisation envisagée ? Le manque de clarté de la vision initiale engendre régulièrement des choix absurdes. En particulier, l'inaptitude à définir et énoncer une réponse au défi à relever, et d'en faire un objectif pour la situation future, représente un obstacle majeur. Par exemple, « il faut plus de collaboration » n'est qu'une re-formulation du problème, pas une solution !
Enfin, après le « pourquoi » et le « quoi », il reste le « qui ». Les études démontrent que l'implication des employés de tout niveau dans les décisions double les chances de succès, pour autant qu'elle soit profonde et sincère (il est question ici de leur abandonner une grande partie du contrôle sur la démarche), vraisemblablement à la fois parce qu'ils ont une meilleure perception, concrète, sur le terrain, des points de contention et parce que leur participation en amont est un facteur d'engagement en aval. Hélas, elle est presque systématiquement ignorée, même quand la volonté est là.
En synthèse, la principale conclusion à tirer de ces remarques devrait être l'impératif d'arrêter le principe de la réorganisation à tout-va, perturbatrice pour les salariés, au point d'engendrer de sérieuses pertes d'efficacité, et improductive pour l'entreprise, surtout quand ses objectifs sont opaques et/ou flous. Il faut arrêter de la considérer comme un outil de pilotage banal et revenir à une utilisation parcimonieuse et calculée, alignée avec une véritable stratégie (qui constitue donc encore une fois le nœud du débat).