Murmure. Telle une passion triste, le déboussolé de gauche n’en finit pas de nous exténuer en tant que permanence. Qu’il est difficile, par les temps qui courent, de conjuguer optimisme avec le «cercle de la raison» retrouvé. Tout l’espace public semble broyé par le paysage médiatico-politique ambiant, et pourtant, quelque chose nous murmure à l’oreille: et si la France qui vient ne ressemblait en rien à ce qu’on nous promet du matin au soir? Puisqu’il convient d’être de son temps et secrètement à côté, un pied dedans, un pied déjà ailleurs, dans un présent étale et par-delà, tentons pour une fois de déconstruire une idée toute faite qui imprègne jusqu’aux esprits les plus critiques. Ainsi donc, la société française dans son ensemble traverserait une «droitisation» généralisée, pour ne pas dire une «ultradroitisation», en épousant aveuglément ses thématiques essentielles. Ce serait tellement évident et visible que le bloc-noteur lui-même, par dépit de la constatation, a souvent accrédité l’hypothèse. Depuis, cette thèse est relayée comme s’il s’agissait d’une vérité acquise. Exemple, Rachida Dati, qui expliquait la semaine dernière: «La France est majoritairement à droite. Elle est majoritairement à droite dans ses valeurs, dans ses attentes et dans ses préoccupations.» Vous avez bien lu: les «valeurs», les «attentes» et les «préoccupations». Fermez le ban.
Corpus. Un mythe (une idée plus une croyance) naît parfois de quiproquos. D’autant que le positionnement «politique» ne dépend pas seulement d’un scrutin et/ou des intentions de vote. Se focaliser sur les derniers résultats électoraux, frappés d’une abstention record, singulièrement chez les moins de 35 ans, signifierait que nous négligions mécaniquement plus de la moitié des Français qui, à l’évidence, se remobiliseront pour l’élection présidentielle. Par ailleurs, attention de ne pas confondre le débat médiatique – l’emprise de la petite «musique» dominante – et la réalité du corps social environnant, plus divers qu’il n’y paraît. Même en admettant que le positionnement à droite continue de grimper sur certains aspects, les «valeurs de gauche» progressent régulièrement, elles aussi, et de manière plus structurante et durable chez les jeunes générations. Promesses d’à-venir? Les fractures béantes existent, mais le socle commun est là, sous nos yeux. Une récente étude d’EVS (European Values Study) confirme ce que nous ne voyons pas forcément. Contrairement à l’idée de droitisation, ce sondage montre «une hausse des valeurs de tolérance et d’égalité» en France, tandis que notre société «devient plus permissive, moins conservatrice». Quant à l’attachement à la justice sociale, il reste essentiel pour plus de 70% de nos concitoyens, sans parler de l’aspiration à la «solidarité», aux «partages des richesses», à «l’intervention de l’État», à «la réduction des inégalités», etc. Ce corpus pèse.
Oligopole. Que signifie, dès lors: «La droite est majoritaire»? Et de quelles droites parle-t-on? Certes, le climat idéologique se vautre dans l’oligopole. Selon la définition, une condition d’oligopole se rencontre lorsque nous trouvons, «sur un marché, un nombre faible d’offreurs disposant d’un certain pouvoir de marché et un nombre important de demandeurs», traduit autrement par «situation de marché oligopolistique». Bref, «les» droites et tous leurs relais s’échinent à construire l’agenda de la précampagne (à l’image d’Éric Zemmour), bien aidés par la puissance dogmato-médiacratique. Demeure une vérité: les crises successives se sont accumulées et elles s’additionnent aux valeurs de progrès qui, de leur côté, ne cessent de croître. Inéluctable évolution? Ou optimisme déplacé?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 24 septembre 2021.]