Critique du Feuilleton Goldoni, d’après la trilogie Les Aventures de Zelinda et Lindoro de Carlo Goldoni, vu le 18 septembre 2021 à la Scala Paris
Avec Joséphine de Meaux, Félicien Juttner, Augustin Bouchacourt, Charlie Dupont, Ahmed Fattat, Tania Garbarski, Jonathan Gensburger, Frédéric de Goldfiem, Pauline Huriet, Thibaut Kuttler, et Ève Pereur, dans une mise en scène de Muriel Mayette-Holtz
J’avoue avoir un peu hésité avant de me décider à réserver pour ce feuilleton Goldoni à La Scala : les confinements successifs m’ont un peu fait perdre l’habitude de ces marathons théâtraux dont les passionnés sont souvent friands. Ici, ce sont trois spectacles de 1h20 comme trois épisodes d’un même feuilleton qui sont proposés, à l’unité en semaine ou en intégrale le week-end. Et comme on n’a peur de rien, c’est évidemment l’intégrale qu’on a choisie, afin d’amener un peu du soleil de l’Italie dans mon samedi nuageux.
Trois feuilletons, donc, pour suivre les aventures amoureuses de Zelinda et Lindoro : leurs amours malheureuses dans le premier épisode, où ils sont obligés de se cacher dans la maison où ils servent, Zelinda étant courtisée à la fois par le fils de son maître et l’intendant de la maison – et de façon ambiguë par son maître qui l’aime « comme sa propre fille », ce qui rend la relation entre Zelinda et sa maîtresse parfois compliquée. La situation finira par s’arranger et ils se marient à la fin du premier épisode, mais Lindoro va gâcher cet heureux dénouement par une jalousie maladive et paranoïaque qui va entraîner diverses péripéties durant le deuxième épisode. Il travaillera sur ses doutes tout au long du dernier épisode, rendant cette fois sa femme, Zelinda, suspicieuse : s’il n’est plus jaloux, c’est qu’il ne l’aime plus…
Avant toute chose, avant d’être critique, car je vais l’être – un peu – j’aimerais saluer l’audace, le culot, le courage de Muriel Mayette de monter un marathon de théâtre comique. Porter haut les valeurs de la comédie et du divertissement, quand les pièces longues sont en général réservées à des spectacles sérieux et profonds, c’est vraiment courageux. Donc merci pour ça, merci de rappeler que la comédie n’est pas un sous-genre théâtral et que rire n’est pas réservé aux idiots. C’est une chouette vision du théâtre, que je respecte et que je partage.
© Virginie LançonJ’ai été assez décontenancée par les deux premiers épisodes de ce feuilleton. C’est monté comme un vaudeville, ça m’évoque Labiche, mais le rire monte peu. Je mets d’abord en cause le texte qui n’est pas le meilleur de Goldoni et souffre de quelques longueurs, mais il n’est à mon sens pas le seul responsable. Car je vois certains comiques de situation avec pourtant un joli potentiel retomber sans soulever la salle de rire. Je sais que je n’ai pas le rire facile mais de là à ne pas m’en décrocher un seul, je suis un peu déçue.
Et j’ai l’impression de toucher du doigt le problème en avançant dans le spectacle : on ne croit pas vraiment au couple formé par Félicien Juttner et Joséphine de Meaux, Lindoro et Zelinda. On ne voit pas leur amour sur scène alors que tous les personnages ne parlent que de ça – mais il est aux abonnés absents. Il faut dire aussi que le jeu de Joséphine de Meaux est en constant décalage avec celui du reste de la troupe, comme si le premier degré ne lui convenait pas. Son jeu quelque peu nerveux peine à évoquer la pureté dont tous les personnages la louent, ce qui me bloque un peu pour pleinement apprécier le spectacle.
Je ne reste pas totalement en dehors du spectacle non plus : l’ensemble du travail est soigné, la mise en scène dynamique, les enchaînements très fluides. Et le reste de la troupe semble avoir trouvé plus facilement le ton juste : Charlie Dupont compose un maître très réussi, trouvant un bel équilibre entre tendresse et autorité – et on prendra toute la mesure de sa composition lorsqu’il incarnera le notaire au troisième épisode : transformation totale. Jonathan Gensburger est également très convaincant en intendant fourbe et omniscient ; il est le contrepoint réellement farcesque du spectacle. Mention spéciale également à Tania Garbarski, maîtresse alcoolique et dépressive qui attire instantanément le regard sans jamais tomber dans le surjeu. Ce sont eux ce qui me font rester jusqu’au bout. Quelle sage décision !
Car c’est pour moi dans le troisième épisode que le spectacle explose. L’atmosphère change complètement : l’amour de Zelinda et Lindoro n’est plus le personnage central de la pièce et ça change tout ! Certes, il est toujours présent car dans cet ultime acte Zelinda se met à douter de Lindoro, mais ce nouveau point de vue permet à l’actrice de se révéler complètement car on ne lui demande plus de jouer les amoureuses premier degré mais bien de sombrer dans une certaine folie… Or c’est là que Joséphine de Meaux excelle : dans les effets. Elle n’est plus brimée par cette personnalité qui ne lui convient pas et peut laisser libre cours à ses délires pour le plus grand plaisir des spectateurs. Cela provoque un déclic : tout d’un coup la machine s’emballe pour donner un dernier épisode à cent à l’heure qui convainc totalement !
Un bilan mitigé dont on saluera malgré tout l’ambition et le lâcher-prise final !