Cet outil de communication est désormais utilisé par de nombreux usagers pour immortaliser des évènements et de les publier volontairement ou non dans les réseaux sociaux avec des conséquences parfois irréversibles.
Il y a deux mois, madame Esther Mamadi se faisait humilier au quartier Nkomkana à Yaoundé. Accusée d'avoir volé le téléphone dans un salon de coiffure, elle a été forcée de se déshabiller et d'exposer ses parties intimes. Quelques minutes plus tard, la vidéo de sa nudité a fait le tour des réseaux sociaux. Redoutant l'impact de ces clichés sur son image, elle avait déposé une plainte à la brigade de Gendarmerie de Tsinga. Le 02 Avril 2019, trois infirmières de l'hôpital de district de Deïdo à Douala, écopaient de trois mois de suspension " sans préjudice de poursuites judiciaires. Ceci, pour manquement grave à l'éthique et à la déontologie professionnelles ", décidait alors le ministre de la Santé publique. Elles étaient accusées d'avoir filmé et diffusé des images du jeune Rochman Bleriot Tsanou, poignardé au Lycée de Deïdo. La décision du ministre avait trouvé un écho favorable au sein de l'opinion publique.
Ces derniers mois, des sextapes ont écumé l'actualité au Cameroun. Celle impliquant le patron de radio sport infos (rsi), dans son bureau, avait traversé les frontières. La jeune Malicka Bayemi, dont les images ont été largement relayées, a saisi les instances juridictionnelles. L'affaire est pendante devant le tribunal et le patron de rsi écroué en prison. Même les documents officiels frappés du sceau " Très confidentiel " inondent la toile en longueur de journée au grand dam de certains conformistes. " C'est tout de même ahurissant de voir des documents secrets se retrouver sur la toile. Ces derniers mois, on en a vu de toutes les couleurs ", s'indigne Brice Awona. Le taux de pénétration des téléphones au Cameroun a augmenté de 15% en 04 ans. La sophistication de ces outils de communication a permis à chaque internaute d'immortaliser les faits qui se déroulent autour de lui. " C'est intéressant de voir ce dynamisme social au quotidien sur la toile ou dans les réseaux sociaux. Avec une connexion de 100 Fcfa et un téléphone, des Camerounais créent des contenus audios, vidéo ou textuels. Internet a vraiment démocratisé la parole ", glisse Albert, les yeux fixés sur son IPhone.
Le règne des téléphones Android
Au cours des multiples accidents sur nos routes, certains usagers s'activent à faire des vidéos au lieu de porter les gestes de premiers secours, s'indigne Armel Franck. Pour lui : " On entre de plus en plus dans une société de buzz à tous les prix. La situation est inquiétante. J'ai comme l'impression que les téléphones nous éloignent davantage de notre humanisme, de notre socialisation au profit d'un monde virtuel et perdu dans l'impunité. Face à un accident, des passants sortent des téléphones pour filmer les blessés agonisants et les morts pour les partager dans les groupes Facebook et whatsApp. Il y a une bagarre au coin de la rue, c'est le même phénomène. On y retrouve des jeunes et des personnes d'un certain âge malheureusement ". Antoine Noah, informaticien dans la ville de Yaoundé, regrette l'usage qui est fait des téléphones aujourd'hui dans notre société. " Les téléphones ont vraiment libéré la parole ; ils sont de plus en plus puissants. On publie tout et du n'importe quoi sur la toile au nom du buzz ou pour faire bonne impression. C'est d'ailleurs ce qui justifie la prolifération des fake news aujourd'hui et la naissance du fact checking ". Et d'ajouter : " Ce n'est pas le propre du Cameroun. Dans certains pays, les gouvernants ont préparé le terrain avant l'arrivée de ces technologies ".
Doit-on tout filmer ?
Le monde de l'instantanéité n'attend plus. " On n'y peut rien désormais. Le monde va désormais très vite. Même avec les enfants à la maison, on n'est plus sûr de vivre dans l'intimité. Il suffit d'une fausse manœuvre pour voir une vidéo ou photo familiale par exemple se retrouver dans les réseaux sociaux. Je vous assure que le téléphone est un mal nécessaire. Aujourd'hui on filme tout ", déplore Armand Joël Essama. Et d'ajouter : " Si notre système scolaire ou académique était dynamique comme ailleurs, on aurait eu par exemple des cours sur l'utilisation des réseaux sociaux et des médias en général. Ces cours participeraient à la construction des citoyens et à bâtir leur esprit critique. Avant de faire une publication, il faut toujours se demander si le jeu vaut la chandelle ", conseille Brice Hermann Nya, Expert en rédaction des contenus.
La question a été posée à Me Hyppolite Meli, avocat au barreau du Cameroun. Pour lui, tous ceux qui voient leur image prise dans un cadre restreint sont libres de saisir les juridictions pour se plaindre s'ils le veulent. Par contre, toutes images prises dans un endroit public restent publiques. Dans un cadre privé, les propriétaires des lieux sont les seuls à autoriser la prise des vues et de leur publication, confie l'avocat.