" Mon écologie à moi est votre écologie ! " (Sandrine Rousseau, le 19 septembre 2021).
Les écologistes d'Europe Écologie-Les Verts (EELV) ont organisé une primaire ouverte pour la désignation de leur candidat à l'élection présidentielle de 2022. Pour pouvoir voter, n'importe quel Français de plus de 16 ans pouvait s'inscrire avant le 12 septembre 2021, sous réserve de payer 2 euros et d'approuver une charte des valeurs écologistes qui ne mangeait pas de pain.
Cinq candidatures ont été retenues et les inscrits pouvaient voter par voie électroniquement ( avec tout ce que cela implique) du 16 au 19 septembre 2021. C'est ce dimanche 19 septembre 2021 vers 17 heures 30 que le secrétaire national de EELV, Julien Bayou a annoncé les résultats de ce premier tour. Le second tour aura lieu du 25 au 28 septembre 2021.
C'est incroyable comment les journalistes ont pris pour argent comptant les affirmations des responsables écologistes. Car au contraire de ce qu'ils prétendent, jamais la situation n'a été aussi mauvaise pour les écologistes que ces résultats qui ont mis les quatre principaux candidats dans un mouchoir de poche. Jamais la famille écologiste n'a été aussi divisée tant du point de vue des personnes que de leur programme.
1. C'est une forte participation ? Tout est relatif !
L'idée de penser que cette primaire EELV a eu une forte participation est une sorte de matraquage de la méthode Coué : plus on le dit, plus on y croit. Pire : ils sont capables de dire, avec les résultats du premier tour, "La société est portée à plus de..." alors que seulement 122 675 Français se sont inscrits à cette primaire. Certes, il y a eu une forte participation (c'est-à-dire le rapport entre ceux qui ont voté et ceux qui se sont inscrits), 86,91% mais pourquoi se serait-on inscrit pour ne pas voter (surtout que l'inscription était payante) ?
Certes (aussi), l'objectif était de 100 000 inscriptions et quelques jours avant la fin des inscriptions, il n'y en avait que 75 000. C'est beaucoup plus que la précédente primaire EELV, celle d'octobre 2016, qui n'avait reçu que 17 146 inscriptions.
Mais il faut un peu se réveiller : il s'agit d'élire le Président de la République d'une nation qui compte plus de 68 millions d'habitants. Ces 122 675 inscrits ne représentent même pas 0,2% de la population ! À l'élection présidentielle de 2017, il y avait plus de 48 millions d'électeurs inscrits. Probablement plus en 2022. 122 675, c'est finalement le corps électoral pour une ou quelques circonscriptions des 577 que compte la France.
La meilleure comparaison reste les primaires des autres. Celle de LR en novembre 2016, ils étaient plus de 4,4 millions de Français à avoir participé au choix du candidat LR. Chez les socialistes, ils étaient plus de 2 millions à avoir voté à la primaire PS de janvier 2017.
Comme on le voit, 122 675 inscriptions, c'est dérisoire comme masse électorale. Ils disent que c'est un grand succès parce qu'ils n'étaient que 7 fois moins en 2016, mais ils sont encore ridiculement faibles dans leur capacité à mobiliser leur électorat. En clair, ils ont mobilisé leurs militants, mieux que les précédentes fois, mais cela ne reste que des militants.
2. Les deux candidats du second tour pavoisent
Il n'y a pas de quoi pavoiser et je suis même surpris de la surprise des journalistes. Ce second tour était finalement assez prévisible : un candidat écolo-modéré, très médiatisé et connu des médias, qui a montré ses preuves de leadership aux élections européennes de mai 2019, Yannick Jadot (54 ans), soutenu par Alain Lipietz, Matthieu Orphelin, Laurence Abeille et David Belliard, avec 29 534 voix, soit 27,7%, et une candidate de la base, très apprécié par les militants, très gauchiste, écolo-féministe (terme à définir), Sandrine Rousseau (49 ans), soutenue par Alice Coffin, Adèle Haenel, Jane Fonda, Salomé Lelouch, Jean-Luc Moreau, Lio, Bruno Solo et Éric Métayer, avec 26 801 voix, soit 25,14%.
Bref, le second tour donnera le clivage attendu entre une ligne pragmatique et une ligne idéaliste, cela pour être avec un vocabulaire gentil. Le vocabulaire moins gentil, ce serait : une ligne opportuniste versus une ligne dogmatique. Ou encore : rose bonbon vs rouge foncé. Sandrine Rousseau est plus imaginative : "écologie d'accompagnement" vs "écologie de transformation".
Certains imaginaient que Yannick Jadot serait élu dès le premier tour. C'était impossible. Du reste, c'est le risque d'une éventuelle primaire LR où seule, participerait comme "grande" candidate Valérie Pécresse. Dans les débats télévisés (deux débats télévisés, sur France Inter le 5 septembre 2021 et sur LCI le 8 septembre 2021), Yannick Jadot se montrait très condescendant, s'affichant comme favori et voulant apprendre aux autres comment faire campagne et être aimé des médias.
Sandrine Rousseau a été beaucoup plus dans le concret, dans le fond, et finalement, cela ne lui a pas trop mal réussi. Et Yannick Jadot a un problème de crédibilité : ira-t-il jusqu'au bout, cette fois-ci ? Car il a été choisi par la primaire EELV de 2016 et finalement, il s'est désisté en faveur de Benoît Hamon, qui a lui-même fait un score misérable en 2017.
3. Éric Piolle quasiment dernier
Arrivé en quatrième position avec 23 767 voix, soit 22,29%, Éric Piolle (48 ans), proche de François Ruffin et soutenu par Eva Joly, Esther Benbassa, Aurélien Taché, David Cormand et Guillaume Gontard, aurait étonné, par son résultat médiocre, quelques analystes politiques qui croyaient encore en ses chances. Il aurait même eu des cours de relations internationales pour prendre une stature présidentielle ! Mais cela ne suffit pas. On disait surtout qu'il était le représentant d'une ville (Grenoble) et qu'il pouvait ainsi montrer ses réalisations. Sauf qu'elles restent relativement limitées et un bon maire (ce qui reste à voir, même s'il a été réélu, loin d'être plébiscité comme certains l'ont clamé, il a eu 46,7% au premier tour avec 57,8% d'abstention et 53,1% au second tour en 2020 avec 64,2% d'abstention, c'est loin d'un raz-de-marée !) n'a pas forcément vocation à être un bon candidat à l'élection présidentielle, encore moins à être un bon Président de la République.
4. Delphine Batho numéro trois
La vraie surprise, c'est de trouver Delphine Batho (48 ans), soutenue par Cédric Villani et Dominique Bourg, en troisième position avec 23 801 voix, soit 22,32%. Devenue présidente de Génération Écologie (parce que cette marque était laissée en jachère), elle est avant tout une militante socialiste et ancienne ministre avec la même étiquette sous François Hollande. Autant dire qu'on imaginait mal qu'elle fût acceptée comme écologiste quelques années plus tard. Cette primaire EELV lui donne donc cette consécration. Sans plus. Son thème de la "décroissance" ressemble à celui de la "démondialisation" longtemps invoqué par Arnaud Montebourg. Préemption sémantique.
En fait, ce n'est pas si surprenant que cela. Elle a été à l'école de Julien Dray, elle a été capable de mobiliser beaucoup de militants, probablement des étudiants de l'UNEF, et elle démontre ainsi la réalité de cette primaire EELV qui n'a rien de populaire (pour l'être, il faudrait y avoir plusieurs millions d'inscrits, comme chez LR ou au PS en 2016-2017). Il s'agit d'abord d'une course aux militants, et chaque candidat est en fait le pôle attractif de certaines chapelles de militants écologistes.
Pour preuve, il y en a un qui s'est trompé d'endroit. Le très sympathique Jean-Marc Governatori (62 ans), au nom prédestiné pour une candidature présidentielle, lui, n'a pas été soutenu par une base militante, le résultat n'en est que plus sévère pour lui. Alors qu'il croyait pouvoir convaincre "l'opinion publique", qui est certainement plus proche de lui que de la plupart de ses concurrents, l'écologiste centriste, simple conseiller municipal de Nice, n'a eu que 2 501 voix, soit 2,35%, classé cinquième et dernier, très loin derrière les quatre autres qui représentent à peu près chacun un quart des votants.
Et le second tour ?
Un unique débat sera organisé entre les deux candidats restants sur LCI le 22 septembre 2021 à 20 heures 45. Si l'on s'en tient au clivage pragmatiques vs idéalistes, il n'y a pas photo, Sandrine Rousseau devrait largement être désignée candidate dans une dizaine de jours. Peut-être que certains électeurs de candidats qui ont échoué au premier tour souhaiteraient privilégier la capacité à faire beaucoup de voix plutôt que celle à se faire plaisir avec un programme écolo-total. Daniel Cohn-Bendit, lui aussi, a déjà imaginé cette issue : " Je suis déçu, je pense que Sandrine Rousseau va gagner, je crois que c'est une mauvaise nouvelle pour l'écologie. ". Il faut reconnaître que EELV a toujours choisi ses candidats les moins rassembleurs (Alain Lipietz vs Noël Mamère en 2002, Eva Joly vs Nicolas Hulot en 2012, Yannick Jadot vs Cécile Duflot en 2017). C'est Anne Hidalgo qui va se frotter les mains et voir son horizon électoral se dégager.
L'élément certain, c'est que cette primaire EELV n'est pas une primaire populaire. C'est une primaire militante. Cela n'a rien de péjoratif mais cela montre le grand danger par exemple d'un référendum d'initiative citoyenne : seuls les militants et les clivés s'exprimeront. Les autres, ils auront d'autres choses à faire dans cette vie si compliquée...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (19 septembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Élysée 2022 (5) : profondes divisions chez les écologistes.
Grégory Doucet.
René Dumont.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210919-primaire-eelv.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/elysee-2022-5-profondes-divisions-235905
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/09/19/39141591.html