Magazine Culture

Milliardaires, philanthropie, et démocratie. (Gabriel Zucman)

Par Jmlire

Milliardaires, philanthropie, et démocratie. (Gabriel Zucman)Gabriel_Zucman

Il faut répondre concrètement au défi inégalitaire. Et bien comprendre que l'objectif final d'un impôt fortement progressif n'est pas de remplir les caisses de l'État mais de réduire les inégalités en diminuant le nombre de milliardaires. Ce principe essentiel fut explicité par Roosevelt dans un discours devant le Congrès en 1942 : " " Je pense qu'aucun Américain ne devrait avoir un revenu après impôt supérieur à 25 000 dollars ( 1 milliard de dollars aujourd'hui), a-t-il dit en substance. je propose de créer un taux marginal d'imposition de 100% .au-delà de 25 000 dollars." Le Congrès hésite mais se met finalement d'accord sur... 93 %. Pour Roosevelt, toute concentration excessive des revenus ou des patrimoines était une mauvaise chose en soi : concentration des richesses signifie concentration des pouvoirs, et capacité d'influencer les politiques publiques et les marchés, de créer des monopoles, d'acheter des journaux, bref, d'imposer une idéologie. Avec les risques de violence afférents : révoltes fiscales de type Gilets jaunes, basculement vers le protectionnisme ou succès populistes lors des élections...

Bernie Sanders propose une imposition maximale de 100 % : au-delà d'un milliard de dollars de patrimoine, tous vos revenus sont captés par l'impôt. Quant à Elizabeth Warren, elle n'est pas loin de ce chiffre. Dans les deux cas, on dépasse les taux d'imposition supérieurs des années 1950 ou 1960. Le slogan" Abolish Billionaires"(abolissons les milliardaires) connaît d'ailleurs un beau succès. De notre côté, pour réduire significativement les inégalités, nous proposons un impôt de 10 % par an sur les fortunes au-delà d'un milliard de dollars. Ainsi, vous rabotez les grandes fortunes, vous réduisez fortement à terme la concentration des richesses, et vous générez des recettes fiscales importantes à court et moyen termes, ce qui bénéficie au reste de la population. Cela vous ouvre des perspectives très intéressantes pour une politique sociale ambitieuse en matière de santé ou d'éducation, encore trop embryonnaire outre-Atlantique...

Appliqué sur trente ans, Bill Gates ferait passer sa fortune de 97 milliards à 4 milliards de dollars - ce qui lui laisserait tout de même de quoi vivre...

La philanthropie pose plusieurs problèmes. D'abord, si vous additionnez les sommes que les milliardaires américains donnent aux œuvres de bienfaisance, vous constatez que, tous ensemble, ils ne se défont en réalité que de... 0,4 % de leur fortune chaque année. C'est beaucoup moins qu'un tout petit impôt sur la fortune. La philanthropie est aussi un déni de démocratie flagrant : Bill Gates ou Warren Buffett sont bien aimables, mais s'ils pensent qu'ils doivent décider seuls de la meilleure façon de lutter contre la pauvreté, autant revenir à l'Angleterre du xviiie siècle ! Dans une démocratie, c'est par la délibération collective, la levée d'impôts, les débats parlementaires et budgétaires, que ces questions sont tranchées. Le principe de base, c'est que la collectivité sait mieux qu'un petit groupe fortuné ce qui est bon pour l'ensemble du pays. Sinon, on vit dans une oligarchie."

Gabriel_Zucman, extrait d'un entretien pour le magazine Télérama n°3656 du 05/02/2020.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Jmlire 100 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines