Cher Henri,
C’est sur une île aux couleurs de la Méditerranée, votre mer, que j’apprends cet été par mon amie Véronique, à travers laquelle je vous ai rencontré, que vous nous avez en partie quittés.
Aussitôt je me rappelle un premier déjeuner avec vous, au cours duquel je vous dis être en train de lire Ulysse de Joyce, d’en goûter la fabuleuse énergie sans pourtant rien y comprendre vraiment. Alors vous commentez, m’expliquez, la culture antique, l’Odyssée, la construction du livre, et j’entrevois – je ne vous connais pas – l’étendue impressionnante de votre culture.
Depuis ce jour Cher Henri, vous ne le savez pas, mais je vous dois beaucoup.
Je vous dois de m’avoir accueillie dans votre Action poétique et vos Anthologies avec générosité, à un moment où le « roman » était devenu pour moi davantage un milieu qu’une pratique encore possible. Je vous dois de m’avoir permis de chercher et travailler pendant huit années de nouvelles formes, ou plutôt des formes adéquates, –Le dépouillement organique / De la phrase.(1) – dans la sécurité que m’offraient votre revue et un dialogue nouveau avec les auteurs que vous publiiez. Je vous dois aussi d’avoir un jour considéré, sur votre injonction à la fois lasse et définitive, que tout ce qu’on écrivait n’avait pas pour vocation à être édité.
Vous vous occupiez beaucoup des textes des autres, mais demeuriez réservé sur vos propres travaux. De jeunes poètes et poétesses se pressaient autour de vous et vous aimiez toute cette vie qui bruissait et vous vous amusiez aussi parfois de notre égocentrisme chevronné.
Je me rappelle vos recettes de cuisine écrites en liberté, la déclinaison du Minestrone, votre convivialité, votre voix parfois tonitruante, la façon dont vous plaisantiez avec nous, les filles, les femmes, à une époque où l’on pouvait encore rigoler et où les excès des multiples – souvent nécessaires – remises en questions contemporaines n’avaient pas encore gagné les esprits les plus éclairés.
Cher Henri, vous êtes, pour certains et devrais-je désormais ajouter certaines dont je suis, lié à notre jeunesse, nos gammes en poésie, nos hésitations et nos avancées profondes et stylistiques. Vous nous avez offert, peut-être sans le savoir, en tout cas en ce qui me concerne, ce lieu où mieux respirer, duquel prendre notre élan pour évoluer.
Je suis très heureuse de vous avoir rencontré.
Elisabeth Jacquet
[1] L'amour charnel, Henri Deluy, Flammarion 1994