Du sauvage au lisible.
Vie du poème
Lignes intérieures/ Labor & Fides, 2021, 192 p., 17€
Nous commenterons à l’avenant – en toute similitude d’approche, par vagues successives, au fur, à proportion des aperçus donnés par la lecture, des fenêtres ouvertes vers les motifs offerts par la randonnée. Car la première chose à dire est qu’un livre de Pierre Vinclair se lit toujours avec l’œil de la sympathie, en pur compagnonnage, en quelque sorte. Il n’y a donc pas à hésiter, il faut partir de bon pied, suivre l’allant, tenir la cadence.
Pierre Vinclair est en effet ce marcheur qui parcourt le monde et se pose le temps de réfléchir. Le mot est à prendre au sens propre : renvoyer les rayons qu’envoie une source lumineuse, ce qui implique intégration et donc méditation, puis rétablissement des ondes reçues, et devenir ainsi source à son tour. Pierre Vinclair se pose pour inspection là où le réel l’invite, et le réel l’invite toujours : il y a complicité entre ce marcheur & les lieux qu’il investit. Pierre Vinclair marche donc en ces lieux d’élection, là où la vie l’a fait se rendre : ce verbe aussi fait déjà signe – on se rend lorsqu’on part, & l’on se rend aussi lorsqu’on devient, & qu’on accepte ce qui advient là où l’on s’est rendu. Il marche, en main le carnet jaune, orange ou de toute autre couleur pourvu qu’il soit ouvert à la traversée du réel, le temps, bref, de la pause, & des mots alors traversent l’espace où Pierre Vinclair pose ses pas, l’œil en éveil permanent, la pensée attentive à sa propre naissance, mais encore peu soucieuse de ses suites. Viendra évidemment plus tard le moment, le jour suivant, un autre jour : tous les jours sont clairs pour qui ne veut pas écrire en vain, car écrire demande de la lumière, et une simplicité entière, pour réfléchir ; alors il conviendra de s’asseoir à la table pour voir si la moisson de mots notés à la volée, le temps de la pause, trouvera sa voie pour accéder au poème, cette clarté nouvelle.
Le poème par conséquent ne part jamais de rien, premier point, et second point, corollaire, ne naît pas, surtout pas, d’une attente du faire-poème qui lui serait substance-de-soi à concrétiser. Rien de plus vain, c’est le cas, que cette volonté-là. On sera reconnaissant à Pierre Vinclair de faire d’emblée justice de ce mythe imbécile, toujours actif, du poète en communication gourmée avec la muse pourvoyeuse d’inspiration, l’index sur la tempe, & espérant que du néant surgisse un plat consommable sous l’appellation du poétique : tant de rapins dans l’art de la versification, libre ou contrainte, d’apprentis confits de certitudes affectent de se prendre encore pour les envoyés du Parnasse, & même, surtout, parmi le bataillon touffu des avant-gardes autoproclamées attablées à la consommation de leur gloriole. Le poète n’est pas un génie en suspension dit Vinclair ; le poète est à sa tâche, c’est tout. S’il existe une inspiration, elle est pulmonaire, elle accompagne la marche, & la prise de notes, le relevé des indices d’un sens possible, & d’une forme qui lui donnerait sa légitimité. Le poème est affaire de « dressage », dit-il ; il s’agit de passer de la « sauvagerie » des données brutes recueillies à la réalisation de ce qui sera fixé comme lisible – entendons : réel enfin lisible dans des mots neufs, passés par l’opération de la retouche formatrice. Ce que le carnet propose, lorsque la marche dans le monde des vivants est achevée, ce que le carnet déglutit lorsqu’on le rouvre en s’installant devant la table de travail où la machine attend d’en accomplir le traitement, ce que le carnet a mis en magasin, se voit alors passé au toilettage, à la domestication (la mise à la demeure habitable), selon des procédures qui s’inventent à mesure, et voit ses mues s’effectuer jusqu’au stade final de la lisibilité.
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