Extrait d’une note d’Auxeméry sur Vie du poème de Pierre Vinclair, où il est question de Charles Olson et de John Coltrane
Saturation. Le mot, encore une fois, est olsonien, et convient peut-être. Olson fait part de son expérience à un disciple : « Se tenir [à l’objet] s’y accrocher : toute une vie d’assiduité. La meilleure chose à faire est de creuser une chose, un endroit ou un homme jusqu’à ce que tu en saches véritablement plus qu’il n’est possible pour tout autre que toi. Peu importe que ce soit Barbed Wire ou Pemmican ou Paterson ou Iowa. Épuise. Sature. Cogne. Tout le reste viendra de surcroit très vite : boulot de saturation (ça peut prendre 14 ans). Et on y est, on y reste pour toujours. » (in A Bibliography on America for Ed Dorn, 1955) Quelle est la pratique de Vinclair ? Amasser, articuler, condenser. Si vous regardez une page manuscrite de préparation d’un poème de Maximus, avant traitement par la machine, vous aurez sous les yeux une constellation de mots qui attendent de former sens. Je ne connais pas le carnet de Vinclair, ni ses pratiques réelles devant l’écran où se joue la partition, mais je vois bien que le poème est la résultante d’une opération similaire : de la « sauvagerie » initiale passer à la fixation des tensions portées par le flux. Tensions : autre mot olsonien, on m’excusera, et emprunté à Whitehead ; mais Vinclair (in La radicale intéressante, texte repris en grande partie dans le chapitre Fécondation de Vie du poème) cite lui-même Olson, et adopte la définition de la forme comme « espace énergétique ». Et s’il faut revenir à Coltrane – se souvenir ici de sa célèbre déclaration : « Je pars d’un point, et je m’avance le plus loin possible. » Vinclair travaille également ses soli : une notation sur le carnet induit ses variations ; le point de départ essaime, fixe de nouveaux points d’attache, épuise ses possibles. Ces comparaisons n’ont bien entendu qu’une portée relative, il est évident que chacun se forge une voix spécifique, par ses voies propres. – Ajoutons enfin que le terme de saturation décrit précisément le phénomène d’accumulation qui se constate lors de l’analyse du chant 15 d’Hölderlin au mirador, et qu’il se définit alors comme « mobilisation de toutes les significations possibles d’une séquence signifiante ». Là se situe le centre de la cible.