La Fête fut un concentré vivant de l'Humanité comme idéal...
Idée. Rien ne remplace les forces militantes. La Fête de l’Humanité, d’esprit puissant et de haute conscience collective, le week-end dernier, a mis en pratique la démonstration que l’engagement reste une solidité primordiale qu’aucune valeur ne remplacera exactement. Le bloc-noteur ajoutera que les femmes et les hommes en question n’ont pas seulement servi par leur action l’Idée, ils la servent déjà en tant que citoyens, mais qu’ils ont fait la preuve par leur exemple qu’aujourd’hui encore l’Horizon peut jaillir des sources les plus diverses, à condition d’être ardentes et profondes. Elles et ils ont éveillé, frémissante, une admirable révolte, l’instinct le plus fier de la liberté et de sentiment de la justice. Pour eux, les droits et l’égalité restent tout ensemble le patrimoine commun de tous les citoyens et dans l’épicentre, le bien particulier, la propriété intime et sacrée de l’espèce des dominés qui refusent de subir, comme s’ils traçaient par leur simple présence des mots offerts aux vents porteurs: «Résister», «Construire», «Innover», «Inventer»…
Grandeur. Une semaine s’est désormais écoulée – déjà – et l’imprégnation de la Fête, telle une mémoire vivante façon mode d’emploi, ne se dissipe pas. Rendez-vous compte. Face à tant d’adversités sanitaires et financières, malgré les restrictions, les jauges, les incertitudes et pas mal de freins liés aux circonstances, qui imaginait semblable succès populaire, politique et artistique, alors que beaucoup parlaient de «gageure» à peine quelques semaines auparavant? Pareil bonheur a peu d’équivalent, en vérité. Et nul ne nous interdit (c’est même indispensable) de trouver réconfort, grandeur et vitalité dans ce moment vécu, aussi éphémère et éblouissant soit-il, avec celui que nous pouvons nommer le «Peuple de la Fête», duquel nous ne voulions pas nous séparer – témoin ardent d’une mémoire vigilante et de ce bien inestimable et rare nommé le «partage». Celui-ci nous hisse au-delà de nous-mêmes, bien au-delà, et nous contraint à une exigence nouvelle tout en nous obligeant devant l’Histoire.
L’après. Nous distinguons à l’arrière-plan le «grondement de la bataille», comme le disait Michel Foucault. Car une question hante néanmoins chacun d’entre nous après avoir vécu l’allégresse. Elle nous hante tant et tant, particulièrement cette année, que la poser provoque presque des tremblements: comment «poursuivre» la Fête? Plus précisément, comment dans cet «après» en préserver jusque dans les moindres détails et ses tréfonds à la fois la diversité, la richesse et l’intelligence, mais aussi l’esprit de débats et de controverses, les créations et toutes les audaces, bref, comment chérir en le déployant cette démesure humaine faite d’espérance et d’esprit politique que nous-mêmes, peut-être, nous n’évaluons pas à sa juste valeur? La Fête fut un concentré vivant de l’Humanité comme idéal. Des idées, de la nouveauté, de la maturité et de la jeunesse – celle-ci, du moins une majorité, ne sachant même pas qu’elle en garderait peut-être quelque chose de fondamental. Plus qu’un espoir, un rappel. Jean-Jacques Rousseau l’écrivait en son temps: «Les particuliers meurent, mais les corps collectifs ne meurent point.» Voilà notre raison d’être. L’horizon que ces citoyens acharnés ont dessiné ensemble forme des ourlets que seule l’imagination collective déplisse à l’image de nos ambitions. Pas que du rêve: du concret. Vigilant, le «message» de La Courneuve nous inspire pour demain, pour le futur. Souvenons-nous des paroles de Paul Valéry: «Le corps social perd tout doucement son lendemain.» Le poète et écrivain évoquait le royaume de France au temps de Montesquieu, avant 1789 et ce que nous savons. La formule s’applique à notre époque. Rien ne se perd dans l’histoire des hommes.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 17 septembre 2021.]