Le storytelling et la politique sont de vieux acolytes. Mais on a plus l'habitude des hommes ou femmes politiques utilisant le storytelling. On est beaucoup moins habitué au storytelling utilisé au service de causes politiques. C'est pourtant le cas, artistiquement et avec efficacité pour le mouvement Black Lives Matter.
C'est un article d'Anaheed Mobaraki paru dans de Yale Unergraduate Research Journal au printemps 2021 qui m'a inspiré ce post sur mon blog, blogstorytelling.com. Ce scientifique a étudié le mouvement Black Lives Matter de près, en tant qu'observateur à Richmond dans l'Etat de Virginie aux Etats-Unis courant 2020. Certes, dans ce mouvement, c'est de politique dont il s'agit, mais Mobaraki étudie comment l'art a pu être utilisé. Pour le storytelling, ça tombe bien, c'est à la fois un outil à potentiel politique et une forme artistique. Oui, de l'art, le storytelling : de toutes les techniques de communication, c'est la seule à être aussi proche du travail des romanciers, scénaristes de cinéma...
Le storytelling comme véhicule de protestation :
Hé oui, pourquoi est-ce que le storytelling serait uniquement utilisable par "les puissants" ? C'est un outil de pouvoir comme beaucoup d'autres, mais autant de pouvoir au sens de puissance qu'au sens de pouvoir faire. Donc voilà, le storytelling, c'est pour tout le monde, et pour protester aussi.
Les différents instruments (storytelling et autres) utilisés par Black Lives Matter :
C'est un art militant dans le cas de Black Lives Matter. Les photographes sont des activistes et ne s'en cachent pas. ils ne font pas qu'oeuvre d'information à travers leurs photos, ni de mémoire, d'archivage pour le futur. C'est ce qui les distinguent du fameux mouvement des droits civiques. Ici, la photo sert la mission, la protestation, peu importe qu'elle soit labellisée "respectable" ou non. C'est à dire qu'elle donne l'image d'une respectabilité du mouvement.
C'est de la photo, ce n'est pas du storytelling, mais il y a du storytelling dedans. L'image raconte une histoire. Dans le cas présent, ce n'est l'histoire de ce qui est représenté sur la photo. Non, c'est l'histoire de la personne qui prend les photos, l'activiste, qui est racontée à travers les images, la façon de les prendre, les sujets-personnes représentés...
Alors, entendons-nous : ce n'est pas la statue elle-même mais ce qui en a été fait. Car cette statue, à Richmond en Virginie, représente le général Lee, grand chef militaire confédéré, et donc esclavagiste. Pas vraiment un supporter de Black Lives Matter, même en tant que statue. Le symbole parle de lui-même.
Non, ce qui est intéressant c'est la personnalisation que des acteurs du mouvement Black Lives Matter ont fait subir au monument. Il a été recouvert de slogans, a servi "d'écran de projection"... Bref, la statue a été transformée en média.
Outre l'emblème qu'a constitué cette statue revisitée, rendue utile à la cause, c'est également un storytelling en soi. Le combat entre l'image du général Lee et toutes les valeurs et les histoires du passé qu'elle véhicule, et le mouvement Black Lives Matter est une opposition entre deux extrêmes. Et qu'est-ce que le storytelling par excellence, sinon une lutte entre des extrêmes, un conflit exacerbé. Cette statue relookée raconte une histoire.
Hyper créativité, souvent, que les graffitis. Ce sont parfois juste des visuels, mais il y a aussi parfois les mots, façon punchlines. Un mot tout seul peut même raconter une histoire. Ou pas. Il n'y a rien d'automatique. On peut avoir de tout dans un graffiti, le meilleur du storytelling comme le pire du blabla standard. Mais c'est un terreau certain pour le storytelling.
Pendant tous les événements de protestation, la diffusion de musique assurait une forme d'unité entre les protestataires, comme un signe de reconnaissance. La musique intervenait donc comme un contexte apporté aux actions de protestation de black Lives Matter. Contexte ? Et bien oui, c'est l'un des éléments bien connus et cruciaux du storytelling.
Des projections d'images animées ont eu lieu, créations originales, projetées notamment sur la fameuse statue. Opportunité de storytelling, encore, sans garantie, certes.
Oui, une chorégraphie peut aussi raconter une histoire. Pour une action telle que Black Lives Matter, c'est même très souhaitable. Sinon, c'est juste du mouvement, et c'est dommage.
Oui, des protestataires se sont aussi racontés. Ils ont raconté leur expérience de black lives, dans l'optique que ça matter effectivement.
L'art et le storytelling sont liés. Le storytelling et la politique sont liés. L'art et la politique et même, dans sa forme la plus exacerbée qu'est l'activisme, sont ainsi reliés par l'intermédiaire du storytelling. En voilà un bel exemple. Le storytelling n'est pas, et de loin, réduit à un outil publicitaire. Il a bien d'autres usages et vertus, il peut oeuvrer pour le bien et faire avancer des idées. Confronter des idées aussi. Mais c'est comme cela que les choses peuvent avancer. Et rappelez-vous qu'une bonne histoire est toujours une confrontation. Quiconque est allergique à tout conflit et à la confrontation devrait se tenir à l'écart du storytelling car il ou elle perd son temps (et surtout : en fait perdre à son public !).
C'est en tout cas notre façon de penser chez Storytelling France.