– Le Globe dans le Psautier d’Utrecht

Publié le 16 septembre 2021 par Albrecht

Ce manuscrit, daté des années 820, est la copie d’un manuscrit perdu datant probablement du début du 6ème siècle

L’iconographie du globe y est particulièrement riche et cohérente : comme les images suivent le texte quasiment littéralement, elles constituent un lexique très précis des diverses significations du globe à cette période-charnière entre l’antiquité finissante et le renouveau carolingien [0].


Dieu assis sur un trône

Cette figuration existe dans le manuscrit, mais en deux occurrences seulement.

PSAUME 3 fol 2v

La montagne sainte dont il est question est le Mont Sion.


PSAUME 58 fol 33r

Ce trône quadrangulaire, qui ressemble à un autel de sacrifice,  semble caractériser le Dieu d’Israël


Le globe-siège

PSAUME 59 fol 34r

Dans toutes les autres images où Dieu est assis, c’est sur un globe-siège posé par terre, selon la plus pure tradition paléochrétienne.


La mandorle

PSAUME 8 fol 4v

Cependant la représentation la plus courante dans le manuscrit est un globe-siège englobé dans une mandorle ovoïde, qui illustre l’idée de Gloire.

Il est souvent difficile, dans le manuscrit, de distinguer entre montagnes et nuages. Ici le texte, ainsi que les quatre anges en vol qui soutiennent la mandorle, précisent bien que Dieu trône dans le ciel.


PSAUME 17 fol 9r

Lorsque Dieu est debout, le globe-siège est omis : la mandorle est donc un élément indépendant du globe (pas une sorte de « dossier » qui serait assujetti derrière).


PSAUME 11 fol 6v

Ici le globe est conservé dans la mandorle afin d’illustrer le mouvement : Dieu vient de se lever pour descendre sur terre.

Ainsi il faut comprendre la mandorle comme une sorte de membrane lumineuse que le Seigneur peut traverser à loisir, selon qu’il veut se manifester dans sa gloire ou dans sa proximité.

PSAUME 51 fol 30r

Cette image distingue bien deux figurations de Dieu, et deux arbres :

  • Dieu sans mandorle, descendu sur terre avec un tranchoir, pour déraciner le mauvais arbre ;
  • Dieu trônant dans le ciel dans sa mandorle, avec l’olivier fertile à ses pieds.

A noter que les anges latéraux ne soutiennent pas la mandorle dans les airs (ils parlent aux Justes) : celle-ci est posée à même le sol du Paradis, au même titre que le globe-siège.


PSAUME 88 fol 51v

Même remarque ici : les deux boules représentant le Soleil et la Lune ne supportent pas la mandorle, mais sont posés devant. Ces deux planétaires font système avec le globe-siège, prouvant par là que ce dernier représente bien la Terre.


PSAUME 71 fol 40v

Dans cette image très complète, la mandorle est posée au sol (les anges ne la soutiennent pas. Le globe terrestre est complété par l’image du Démon foulé aux pieds. On remarquera l’absence du Soleil, puisque le texte ne mentionne que la Lune.


Psautier d’Eadwine, 1155-1160, R.17.1 041 fol 20r (détail), Trinity College, Cambridge

Il est amusant de noter que ce psautier médiéval remodèlera l’image en la symétrisant : le Soleil est rajouté pour faire pendant à la Lune, et l’Homme à la pluie est recentré pour faire pendant au Pauvre.


PSAUME 92, fol 54v

Le Christ est ici représenté en combattant, debout dans la mandorle. Et son globe-siège réapparait au dessous, scindé en ses deux composantes :

  • le trône lui-même ;
  • le globe de La Terre, affermi par deux atlantes [1].


Complexités théologiques

La « charte graphique » du manuscrit résiste remarquablement face à la complexité de certains textes.

PSAUME 97 fol 56v

Dans cette illustration, le Seigneur apparaît dupliqué :

  • debout avec la Balance de la Justice,
  • assis sur le globe avec la Palme de la Victoire.

L‘auréole unique sert sans doute à signifier qu’il s’agit bien d’une seule Personne : en mouvement et au repos

La Terre est elle aussi dupliquée : dans le siège-globe et dans la demi-sphère qui le soutient.


PSAUME 109 fol 64v

Dans cette image très riche, Dieu (assis sur un globe, auréole simple) cohabite avec le Seigneur (assis sur un trône simple, auréole à chrisme). Le globe-siège apparaît donc de facto comme hiérarchiquement supérieur au trône quadrangulaire, ce qui traduit bien l’esprit du texte.


CANTICUM 13, fol 90r

Ici au contraire, l’artiste a dupliqué hors de la mandorle le globe-siège du Père, pour y poser le coussin du Fils : manière de signifier la parfaite égalité entre les deux, au sein de la Trinité.

A noter la même différence d’auréole : sans chrisme pour le Père, avec chrisme pour le Fils (dans les bras de sa mère ou sur Terre).


La mandorle sans Dieu

PSAUME 18 fol 10v

La mandorle n’est pas un attribut spécifiquement divin : ici elle entoure la figure du roi David, muni de quatre attributs de sa Royauté : le couronne, le sceptre, le trône, et le globe du Pouvoir sur ses genoux. La mandorle qui l’entoure crée une similitude voulue avec l’image divine. Symboliquement, elle montre que David, le Serviteur de Dieu, tente de lui ressembler ; et littéralement, elle image une sorte de « capsule de gloire » qui isole le Serviteur de la contagion des impies.


Le globe sans Dieu

PSAUME 49 fol 28v

Pour Suzy Dufrenne [1], « …la Terre-reine est figurée, au ps. 49 (f. 28v), couronne en tête, cornes d’abondance et globe terrestre sur les genoux ; elle tient deux bâtons, instruments de mesure, indiquant sans doute la plénitude de sa richesse. «  .

Cette figuration de la Terre assise sur un trône quadrangulaire, et se portant elle-même comme attribut se distingue parfaitement de celle de Dieu assis sur le globe terrestre.


Elle se distingue aussi clairement des représentations antiques de Tellus :

Médaillon de Commode en Janus, 187, orichalque

Pour comparaison, rappelons cette représentation antique de Tellus stabilis (la Terre stable) où le globe est cette fois, comme c’est toujours le cas à Rome, la sphère céleste (voir 1 Epoque romaine).


Les deux bâtons

Je pense pour ma part que les « deux « bâtons », totalement originaux,  ont été imaginés pour illustrer très précisément l’expression « du levant au couchant ». 

Ces deux notions sont personnifiées dans les coins supérieurs par deux demi-soleils tenant un martinet (pour fouetter les chevaux du char), qui encadrent la figure céleste du Christ en gloire ; en dessous la Terre avec deux longs fouets domine les deux moitiés du monde.


PSAUME 49 fol 28v (ensemble)

En prenant un peu de recul, on ne peut qu’admirer l’intelligence avec laquelle l’illustrateur a réussi à organiser tous les éléments d’un texte touffu. L’axe vertical Seigneur-Terre divise la composition en deux moitiés symétriques, à la manière d’un Jugement Dernier :

  • à gauche, entre temple et autel, les Bons, qui font des sacrifices ;
  • à droite, entre les deux arbres à oiseaux, les Mauvais, qui se détournent de la Parole divin.

Chacune des  scènes latérales contient un groupe d’hommes, un groupe d’animaux, et une tempête.

PSAUME 89, fol 53r

La même figure de la Terre-reine, son globe sur les genoux, complète celle de la Lune, prise ici par métonymie comme représentant le Monde.


Psaume 101, fol 58r

A noter que le psautier offre d’autres représentations antiques de la Terre : ici comme mère nourricière, offrant ses seins et tenant sa corne d’abondance.
Références :

[0] Le psaultier, avec des commentaires détaillés, est intégralement disponible sur le site de l’Université d’Utrecht https://psalter.library.uu.nl/ [1] Suzy Dufrenne, « Les illustrations du psautier d’Utrecht : sources et apport carolingien « , p 79 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33817163/f91.item.r=atlantes