Quand faire, c'est croire (2)

Publié le 14 septembre 2021 par Detoursdesmondes

Charles de Brosse introduit la notion de fétiche en 1760 dans son ouvrage Du culte des dieux fétiches. Il y décrit une forme première de religion caractérisée par l'adoration directe d'objets : “Le fétichisme apparaît comme le culte de choses inanimées, mais qui sont, pour le sauvage, douées d'une force mystérieuse”. Le mot était utilisé par les marchands du xveme siècle pour désigner les charmes magiques et les amulettes africaines, puis il est passé dans le français colonial. Ce mot dont vont hériter les anthropologues va être mis à mal par les préjugés évolutionistes ; et la notion de "fétichisme" étudiée à l'aune du marxisme et de la psychanalyse nous sera léguée, entachée de malentendus, de glissements de sens et surtout auréolée d'un certain malaise. Bref, un mot compliqué faisant intervenir une notion aussi complexe et ambivalente que celle du “sacré"! Certains auteurs ont essayé de se débarrasser du mot fétiche en le traduisant par autel, mais c’est une solution insatisfaisante car le sens courant de ce dernier mot fausse la représentation que l’on peut se faire d’objets tels que les basiw ou boliw de Guinée et du Mali, les vodun fon, les minkisi congolais, les yapèrlè minyanka, les orisha yoruba, etc. Pour désigner les boliw, Jean Bazin utilisait l’expression “choses-dieux”.
Tentons une définition...
C’est un objet pourvu d’une compétence, d’une agentivité (potentialité d’action demandant à être activée), d’une capacité d’action.
Le fétiche dégage un dynamisme car il est perçu comme une énergie, une pile électrique, un courant.
J’ai évoqué dans mes exemples polynésiens, le terme de “représentation du divin”, de “capture du Sacré” ; mais ces expressions ne révèlent-elles pas que les dieux seraient “déjà-là”, qu’ils pré-existeraient quelque part ? Par exemple, Eldson Best (Maori religion and mythology, 1824) insiste sur le fait que les figures devaient être habillées et qu’elles ne devenaient “habitées” par le divin que lorsque le prêtre récitait des incantations tout en torsadant une cordelette sacrée autour d’elle et en peignant la pièce d’ocre rouge.
Mais dans certains rituels, les dieux ne semblent pas pré-exister, on semble les "fabriquer" !
Le fétiche est tout entier constitué d’énergies manipulables investies dans cet objet qui condense des milliers d’ingrédients et de savoirs.
Son aspect est souvent inachevé car il est en constante construction.
Il est vivant et est aussi une matrice en train de générer sans cesse des corps différents, de véritables fabriques d'efficacité contre les peurs et les maux. Dans le Vodou par exemple, on fait face à un ”bric-à-brac d’objets incroyables, fragments de malheurs subis, d'expressions de souffrances et de débrouilles, empreints d'histoires personnelles…
Et c’est cette “chose” qui va mettre en place des arrangements nouveaux afin de maîtriser le désordre.

Plus que la chose elle-même, la relation qui l'unit à l'homme est ambigüe puisqu'on évoque souvent un mariage mystique entre un humain et une entité devenue une “chose-personne”. L’acquisition d’un “objet fort” de la sorte s’effectue bien souvent selon une procédure calquée sur la demande en mariage.
Le processus de transformation de la matière et de la création est une activité qui se répercute sur ceux qui l’exercent et qui doivent s’astreindre à des jeûnes, des veilles, et autres interdits.
À suivre...
À lire :
Dialogues avec les fétiches: la fabrique rituelle des hommes et des dieux en pays mandingues (Afrique de l'Ouest) d'Agnes Kedzierska - Manzon, 2018 en ligne.
Le sacrifice comme mode de construction. Du sang versé sur les fétiches (mandingues) d'Agnes Kedzierska - Manzon, 2016 en ligne
et encore d'autres articles d'Agnes Kedzierska - Manzon.
À relire également :
« Retour aux choses-dieux », in, Le Temps de la réflexion.Corps des dieux.. S. dir. de Charles Malamoud & Jean-Pierre Vernant, Gallimard, 1989.
L’alliance, le dieu, l’objet de Jean-Paul Colleyn, in L'homme 170, 2004, en ligne.
Photo 1 © Catherine de Clippel, 1989. Togo Seko, assistant d'un prêtre vaporisant de l'alcool de palme sur le vaudou Djagli.
Photo 2 © Catherine de Clippel, 1985. Boli de la société du Manya. Namporompela.