Bruno Dumont a-t-il voulu dénoncer la manipulation des émotions des spectateurs par des médias sans scrupules, essentiellement la télévision, ou a-t-il cherché à démontrer la fragilité d’une journaliste pourtant aguerrie à tous les théâtres d’opération ? La réponse est peut-être à chercher dans le titre définitif du film qui initialement était inspiré de Par ce demi-clair matin de Charles Péguy.France de Meurs (Léa Seydoux) est une journaliste superstar pour une chaîne de télévision en continu. Elle est mariée à Fred de Meurs (Benjamin Biolay), écrivain en manque de succès, alors qu'elle est au sommet d'une célébrité qui lui assure reconnaissance et capital de sympathie auprès du grand public.
Le film commence devant l’Elysée et se poursuit dans le salon de réception, lors d'une conférence de presse d’Emmanuel Macron qui semble dialoguer avec les protagonistes. Mais le générique de fin précisera que le président de la République n'a pas participé au tournage du film et que cette séquence a été réalisée grâce à un montage d'images d'archives. Action … vérité, la caméra tourne autour de ce sujet.
On ne perçoit pas de pression de la part de la direction de la chaîne justifiant la surenchère à laquelle Lou (Blanche Gardin) pousse sa pouliche. On ne connait de celle-ci que son prénom, évoquant l'animal et confirmant l'ambiguïté de sa position auprès de France, oscillant entre assistante, productrice, coach et gourou, à la limite d’être une amie, plutôt sincère d’ailleurs tant ses objectifs sont clairement affichés. On ne peut pas dire qu’elle manipule ou harcèle France qui agit en toute liberté, au sein d’une équipe plutôt soudée.
Celles de France ne sont pas plus claires. Vue de loin sa vie semble idéale, dans l’appartement-écrin dont elle est le bijou chatoyant. La décoration est ultra contemporaine, avec des plafonds étonnamment noir brillant et des murs lambrissés recouverts de tapisseries anciennes. L’espace est vaste, permettant l’exhibition de sculptures démesurées et de bouquets volumineux composés de fleurs exotiques bien plus originales que l’orchidée comme l’Etlingera Elatior dite rose de porcelaine, ou le Zingiber Spectabile dont la hampe florale ressemble à un nid d’abeille en velours rouge sang.L’ensemble est d’une sophistication extrême. France apparaît elle-même comme une fleur dans ses vêtements aux couleurs saturées, contrastant avec un visage d’une pâleur presque maladive. Cette femme semble se fondre dans chaque décor (mention spéciale à Erwan Le Gal qui les a choisis et traités), en treillis de camouflage pour filmer la résistance dans un village en ruines, en bleu électrique ou rouge sur le fond jaune vif du studio, en fourreau blanc dans un dîner de charité, en noir et blanc dans un paysage de montagne… les costumes de Alexandra Charles sont toujours en adéquation avec le décor, jusqu’à cette veste en vinyle constellée de petites fleurs, en accord avec les chrysanthèmes des jardinières accrochées devant la fontaine Médicis du Jardin du Luxembourg. A l’inverse, Lou est d’une banalité sobre, en jean et caban noir.
Comme si la vérité était davantage représenté au cinéma qui pourtant ne triche pas en la promettant. C’est bien le paradoxe que Bruno Dumont cherchait à démontrer. Alors, disons que le pari est gagné !
France, dixième long-métrage de Bruno Dumont, avec Léa Seydoux, Blanche Gardin, Benjamin Biolay …En salles depuis le 25 août 2021Présenté en juillet dernier lors du 74ème Festival de Cannes en Sélection officielle.