Critique de Coupable d’après le film Den Skyldige, adaptation de Camille Barnes et Bertrand Degrémont, vu le 9 septembre 2021 au Studio Marigny
Avec Richard Anconina et Gaëlle Voukissa, dans une mise en scène de Jérémie Lippmann
Au départ, c’était un peu pour la blague. Richard Anconina, je l’ai découvert chez Ruquier il y a un an et demi alors qu’il venait présenter Un mauvais garçon, le téléfilm dans lequel il avait tourné avec Xavier Durringer. J’ai un peu flashé sur lui, il me semble qu’il parlait de sa peur de monter sur scène mais il semblait quand même laisser une ouverture, et je me suis dit que si un jour il jouait au théâtre j’irais le voir. Et ça n’a pas manqué.
Coupable est un huis clos qui se déroule dans un commissariat, de nuit. On y découvre Pascal, en charge de la permanence téléphonique ce soir-là. On comprend aussi qu’il est à la veille d’une comparution pour une bavure policière dont il est le protagoniste. La permanence téléphonique n’est pas son quotidien, il attend plus que tout de revenir sur le terrain après son jugement. Mais alors qu’il s’apprête à finir son service, il reçoit l’appel d’une femme qui vient de se faire kidnapper et qui demande son aide.
J’adore les spectacles qui se passent comme ça. J’adore quand le théâtre me démontre que j’avais tort. Parce que, soyons honnête, je n’attendais pas grand chose de Anconina pour sa première fois sur les planches ; je ne le connais même pas en tant qu’acteur de cinéma. Ce sont deux métiers différents et, dans mes grandes théories de spectatrice, il ne pouvait pas me convaincre. Et puis il commençait avec un sacré malus : placée tout à jardin, je ne pouvais le voir pendant presque toute la première partie du spectacle car il était caché par d’énormes écrans d’ordinateur placés sur son bureau. Avouez que c’est quand même rageant de payer 50€ sa place pour voir un comédien qui finalement se cache derrière son moniteur.
Bref, il n’est pas difficile de m’imaginer, pestant contre le metteur en scène et le théâtre privé qui se fichent du monde, préparant quelques tournures de phrase aiguisées pour exprimer mon mécontentement. Mais écoutant d’une oreille ce qui se passe sur scène, quand même. Et v’là-t’y pas que je me mets à m’intéresser franchement à ce qui s’y déroule, sur scène – tout en n’en voyant pas la moitié, bien sûr. Je mords à l’hameçon. J’écoute avidement les conversations entre Pascal et Sara, la femme kidnappée. Je soupçonne. Je doute. J’accuse. J’interroge. Merde.
J’aime le théâtre quand il trompe mon cerveau. J’ai beau penser qu’on ne m’y prendrait pas, mon corps me dit le contraire. Tant pis, je lâche prise. Et je peux (presque) librement admirer ce qui se passe sur scène (n’oublions pas que je ne vois toujours pas le visage de notre vedette). Avant d’aller plus loin, il me semble essentiel de préciser que je n’ai pas vu le film dont est tirée l’adaptation, je n’ai donc aucune connaissance du scénario, ni aucun moyen de comparer les jeux d’acteurs. Je fais avec ce que je découvre en scène.
Et ce que je vois, c’est un comédien infiniment fragile, qui utilise sa fragilité pour son jeu d’acteur. On ne pouvait sans doute choisir de meilleur projet pour les premiers pas de Richard Anconina sur les planches. Le rôle lui correspond parfaitement. Il n’a pas confiance en lui, ça se voit, ça se sent, et le texte qui défile sur les écrans – qui par ailleurs limitent ma visibilité, au cas où vous n’auriez toujours pas compris – viennent confirmer mon intuition. Tout comme sa gêne lors des applaudissements du public à la fin du spectacle : il ne sait pas où se mettre, il ne sait pas recevoir l’amour du public, il rêverait d’être partout ailleurs qu’ici.
Cette fragilité, c’est sa force. Elle confère à son jeu d’acteur une authenticité et une sincérité sans faille. Son angoisse est réelle et communicative. Son manque d’assurance a quelque chose d’émouvant. Il en fait moins que ce qu’on pourrait attendre d’un pareil personnage – cette légère réserve est-elle due à son habitude de la caméra ? – ce qui le rend étonnamment proche de nous, comme accessible. Et l’objet théâtral le porte, cela se sent. Le dispositif a quelque chose de très cinématographique qui fonctionne bien. La mise en scène de Lippman accompagne l’histoire et permet à la tension de monter tranquillement sans fausse note. La régie, qui doit jouer un grand rôle dans ce spectacle en contrôlant la bande-son qui devient l’interlocuteur principal de notre personnage, est impeccable. C’est soigné. C’est réussi. Et puis, sur la deuxième partie du spectacle, j’ai même réussi à apercevoir Richard Anconina !
J’ai l’impression que ça faisait une éternité que je n’avais pas été surprise en bien au théâtre. Quel bonheur !